18.09.2023

Treize femmes tuées sous les coups de leur mari en 2022 en outre-mer

L’ancienne députée guadeloupéenne Justine Bénin a été nommée par le gouvernement en juillet dernier coordonnatrice interministérielle de la lutte contre les violences faites en femmes dans les territoires d’outre-mer. Elle a entamé jeudi 14 septembre une série de déplacements dans les territoires ultramarins.

Sa première visite a eu lieu à Saint-Martin. Dans le cadre de son déplacement, deux tables rondes étaient organisées ce vendredi. La première partie de la matinée était consacrée à une rencontre avec les acteurs institutionnels puis la seconde partie avec les acteurs de la société dans la salle de conférence de la CCISM.

En 2022, 118 femmes en France ont été assassinées par leur conjoint ou ex conjoint en France. Parmi elles, 13 étaient dans les territoires ultramarins. «Des chiffres accablants et un sujet préoccupant dans nos sociétés », considère Justine Bénin. En effet, le nombre de féminicides ne fait qu’augmenter ces dernières années dans les outre-mer, notamment en Guyane, Nouvelle-Calédonie, Réunion, Martinique, Guadeloupe. En 2021,10 femmes ont été tuées.

Parallèlement, la gendarmerie de Saint-Martin a observé une «explosion» des plaintes de femmes pour violences. En 2023, 48 signalements ont été établis à la gendarmerie, 210 interventions intra-familiales ont eu lieu. Des chiffres significatifs mais qui montrent que la parole des femmes victimes de violences se libèrent de plus en plus, « ce qui est positif », reconnaît François Deneufgermain, capitaine de la gendarmerie des îles du nord. Les femmes osent davantage porter plainte. Bien que le nombre de plaintes pour violences sexistes, sexuelles et intra-familiales soit en hausse depuis quelques années, elles restent moindres comparées aux nombres des violences non déclarées.

Par ailleurs, la question se pose aussi sur la façon d’accueillir la parole de ces femmes victimes notamment auprès des forces de l’ordre. « En tant que gendarmes, nous devons être prêts à accueillir les victimes. Notre professionnalisation dans ce domaine est importante pour inciter davantage les femmes à déposer plaintes. Nous devons aussi être au contact de la population. Nous ne sommes pas que dans les casernes mais aussi à Saint-Martin sur le terrain », déclare le capitaine de la gendarmerie.

Selon la psychologue de Pôle Emploi de Saint-Martin, les violences conjugales dans les territoires d’outre-mer sont «normalisées» par la culture. Des commentaires comme «ma grand-mère a vécu ça, elle est restée, ma mère a vécu ça, elle est restée, c’est que je dois vivre aussi la même chose», rapporte la psychologue. D’après elle, ces violences perdurent de génération en génération. En effet, si le système patriarcal a perdu de son influence dans la plupart des pays occidentaux, il est encore présent dans d’autres territoires sous ses formes «culturelles». Dans ce schéma familial, le père occupe une place centrale par son autorité imposée sur son épouse et ses enfants.

Cela ne doit pas nécessairement s’exprimer par une agression verbale ou physique, mais lorsque cela se produit, les enfants vont être amenés à partager la domination paternelle et à «normaliser», «accepter» tout traitement de sa part. Et à mesure que les enfants grandissent et fondent leur propre famille, ils peuvent avoir recours aux comportements violents qu’ils ont vécus au sein de leur structure familiale de leur enfance pour affirmer leur autorité. À l’inverse, s’ils sont victimes ils peuvent «normaliser» ces actes de violence.

Selon Justine Bénin, «il faut chercher à comprendre les différentes formes que peuvent prendre ces violences». Mais en même temps comprendre les origines, les causes et les expressions de ce fléau en y apportant les solutions. Cette contribution vise donc à une participation de chaque citoyen homme et femme à mieux «comprendre notre société et cette violence qui tue».

«Il y a des couples qui ne savent pas se séparer sans les phénomènes de violences», admet-elle. «Des femmes sont prêtes à rester dans une relation d’agressivité et le font en s’abimant psychologiquement et physiquement, parce qu’elles entrent dans une emprise, un silence. Et elles se disent, qu’est-ce que je peux faire d’autre que de rester chez moi ?  La précarité, l’isolement, la honte etc., peuvent également y jouer un rôle important dans ce silence», exprime la coordinatrice interministérielle des violences faites aux femmes. «Des mentalités qu’il faut changer», affirme-t-elle. «En commençant par notre jeunesse car elle, sera les hommes et femmes de demain ».

En seconde partie de la matinée, Justine Bénin a rencontré les acteurs associatifs de Saint-Martin qui ont notamment exposé leurs action sur le territoire en faveur des victimes. Nous reviendrons sur ces échanges dans un prochain article.

Justine Bénin, dans le cadre de ces déplacements dans les territoires ultramarins, doit faire des propositions pour lutter contre les violences sexuelles conjugales que subissent les femmes, elle devra établir un pré-rapport d’ici fin décembre et un rapport d’ici juin 2024.

Siya TOURE