Récit d’un pompier new-yorkais intervenu sur le WTC le 11 septembre 2001
En 2000, les sapeurs-pompiers d’Uzès (commune dans le Gard, dans le Sud de la France) avaient été à Baltimore et à New-York. Ils y avaient rencontré leurs homologues et noué des amitiés. Très touchés par le 11 septembre 2001, les pompiers français avaient alors souhaité rendre hommage à leurs collègues américains en les invitant à venir dans le Gard en décembre 2002. Durant ce séjour, Bill Spade, pompier à New-York, avait accepté de témoigner. Il avait raconté ce qu’il avait vécu ce 11 septembre alors qu’il était en intervention sur le Word Trade Center.
À cette époque, je travaillais pour Le Républicain d’Uzès et du Gard et j'avais couvert l’événement. Voici l’article que j’avais pu écrire et qui était paru dans l’hebdomadaire local, (N°2880, édition du 13 au 19 décembre 2002). Le republier aujourd'hui est une manière de rendre hommage aux victimes.
Bill Spade : «je ne suis pas un héros »
Bill Spade fait partie des cinq pompiers de New-York invités par les sapeurs uzétiens. Il est l’une des héros du 11 septembre. Avec sept de ses collègues de la caserne Rescue 5 de NY, il est intervenu sur le World Trade Center. Il est le seul à avoir survécu. Selon lui, la question n’est pas de savoir comment peut-on survivre après une telle catastrophe mais comment peut-on avancer. Vendredi 6 décembre, il a raconté son expérience. Ses collègues de Baltimore l’écoutaient pour la première fois.
«Je me présente à la caserne à 7h. Je prends le petit-déjeuner avec mes collègues. 8h45 : un appel pour une émanation de vapeurs dans un hôpital. C’est un départ normal… Je prends ma place au centre d’appels. Un collègue en civil m’appelle». Un avion vient de percuter une tour du WTC. De tels appels ne sont pas banals. Mais ce sont des blagues. «Là, j’ai su qu’il ne s’agissait pas d’une blague à sa voix… J’étais parfaitement conscient que cette intervention allait être difficile. Mais gérable. Je pensais qu’il s’agissait d’un petit avion.» Bill Spade part en intervention avec sept de ses collègues.
À 1,5 km du tunnel qui relie l’île sur laquelle se situe sa caserne et celle de Manhattan, il reçoit l’information que la seconde tour vient d’être percutée. Bill voit une énorme boule de feu. Il réalise que New-York est victime d’attentats. À la sortie du tunnel, il aperçoit une voiture. Elle roule la porte ouverte. Dans sa fuite, le conducteur n’a pas eu le temps de la fermer. Son équipe arrive sur les lieux. À la tour Sud. «Il y a des débris, des corps partout. Ma radio ne capte pas de canal. On m’indique d’aller sur la tour Nord. Je pars. Je laisse mes collègues.»
Avec une voix chargée d’émotion, Bill raconte minute par minute son parcours entre les deux gratte-ciel. «Au milieu de corps qui tombent des deux immeubles.» Il boit un verre d’eau. Sa gorge se sèche. Sa gorge est serrée. «Je procède à l’évacuation par l’escalier Nord. Les gens sont calmes. Lucides. Nous écoutent. Le seul problème que nous rencontrons pour évacuer, c’est qu’en descendant les étages, les femmes avaient quitté leurs chaussures à talon et là, au moment de sortir de la tour, elles les remettent créant ainsi un bouchon. On leur demande de se mettre sur le côté pour ne pas gêner l’évacuation. Il y a deux files : une pour les gens qui sortent et une pour les pompiers qui montent.»
La précision de son récit est frappante. Il évoque Olivia, une femme en hyperventilation. Elle demande aux pompiers de la porter à l’extérieur. Ils ne peuvent pas. Ils doivent évacuer les étages supérieurs. «C’est une douanière… qui la portera vers l’ambulance.» De grands soupirs scindent les phrases de Bill Spade. Cela est difficile pour lui de parler de son expérience Mais éprouve-t-il sans doute le besoin de la raconter. D’extérioriser ses sentiments. Comme une thérapie. Sa voix se crispe à mesure que la situation dans laquelle il se trouve ce 11 septembre prend un caractère grave. L’émotion grandit.
«J’entends un bruit de métal qui se tord. Je saute dans la cage d’escalier. Tout devient noir. Je ne sais plus ce qui se passe… Il y a un silence étonnant de 15 secondes.» La tour Sud vient de s’effondrer. «J’entends les hurlements de ceux qui se situent à l’extérieur de la cage. La porte est difficile à ouvrir. Ma radio ne fonctionne plus. J’allume la lampe torche. The visibility was zero.» Bill Spade boit un second verre d’eau. «Je suis pompier… Dirigez-vous vers la lampe… je vous guiderai. Il y a des policiers couverts de poussière. On retourne tous vers la cage. On se tient tous la main. Dans le calme. Vers la sortie. Les personnes qui descendent sont de moins en moins nombreuses. On leur demande de quel étage elles viennent : du 70e.»
Huit personnes sont encore dans la cage : 3 policiers, 4 pompiers dont Bill et un civil. «We are together. We’ll go together. We’ll proceed together.» Bill poursuit son récit avec la même précision. Il se souvient de tout. «De la porte gauche» par laquelle ils vont sortir de la cage. Suite à un souffle, Bill est plaqué au sol. Il doit fournir d’énormes efforts physiques pour se relever. Puis sauter par la fenêtre. «Au fur et à mesure, tout s’effondre. Je me mets en position de boule. Je dis au revoir à ma femme, à mon fils et à mon second fils de deux mois.» L’émotion est à son plus haut degré. Bill Spade ne retient plus ses larmes.
Au milieu des décombres, de la poussière, son unique objectif est de se sauver. «Tout ce qui est à l’extérieur est en feu… Je dégage la poussière de mes yeux. Je veux prendre ma petite bouteille d’eau dans ma poche pour me rincer la bouche, mais il n’y a plus rien.» Bill rencontre un lieutenant qui lui suggère de se coucher au sol pour respirer. «Mais je ne veux pas crever dans cette pièce. Il faut trouver un moyen de sortir.»
Il sera récupéré par deux pompiers. Bill désire appeler sa femme mais les lignes de téléphone sont coupées. Il entre dans une épicerie où se trouve un policier. «Il voit que je ne vais pas bien.» Bill éprouve des difficultés à voir. À respirer. Il est amené à un PC mobile. On lui conseille d’aller à l’hôpital. Le FBI lui promet de contacter sa femme. Bill est resté à l’hôpital durant trois jours. «C’est là que j’ai pris conscience de l’énorme perte humaine. Que mes collègues avec qui j’avais pris le petit-déjeuner ce matin…» et qui étaient restés dans la tour qui s'est effondrée en premier.
Bill Spade est retourné sur les lieux deux semaines plus tard avec un collègue. Il ne se considère pas comme un héros. «Les héros des attentats, ce sont mes collègues décédés.» Il a réussi à survivre. Mais sait aussi comment avancer. «En regardant les enfants autour de moi… en regardant l’avenir».