"Les adolescents sont les symptômes de la vie sociétale"
«Les adolescents sont toujours un peu l’expression, les symptômes de la vie sociétale. La manière dont la sexualité va se traduire est en écho avec l’organisation de ce qui se vit, la réalité des cultures. » Invité de la semaine de la sexualité de l’adolescent qui démarrait ce lundi 13 février, Pierre Benghozi est pédopsychiatre, psychanalyste, thérapeute de couple et de famille ainsi que membre du Comité exécutif de la Chaire UNESCO Santé sexuelle & Droits humains. « Je suis particulièrement concerné par la clinique de l’adolescent, et avant cela, par la clinique gynécologique que je continue à soutenir » explique lors d’une conférence de presse qui s’est déroulée dans les locaux des Liaisons Dangereuses en fin de matinée, celui qui se déclare également « très concerné par la frontière entre l’intime et l’espace public, et plus généralement la question du corps, du désir, du plaisir et de la sexualité ».
Après avoir échangé avec les travailleurs sociaux et médecins de l’Espace Santé Jeunes, des Liaisons dangereuses ainsi qu’avec le Dr Oualid, pédopsychiatre au CH de Saint-Martin, il a pu avoir un aperçu de la réalité de la sexualité des ados du territoire. Résultat : «On retrouve, entre autres, les mêmes préoccupations qu’ailleurs, d’autant plus que les nouvelles technologies participent à mondialiser le regard de l’information, les téléphones portables constituant presque une partie du corps des ados » affirme-t-il. D’où l’importance de prêter attention à la santé sexuelle, qui ne saurait être définie que par ses pathologies. Pierre Benghozi rappelle tout de même que, selon les études statistiques, 80% des ados vont plutôt bien. « Ceux que nous sommes amenés à voir sont ceux qui ont des problèmes ». Qu’en est-il de la santé sexuelle des ados d’aujourd’hui ?
A cette question complexe, le spécialiste a choisi d’énumérer différents éléments de réponses. Ainsi selon lui, le paramètre des technologies est fondamental : « Le rapport au temps n’est pas le même, les ados d’aujourd’hui sont dans l’instantanéité, cette espèce ‘d’ici maintenant tout de suite’. Ils sont dans l’idée d’une sexualité plus dans l’immédiateté que dans la préparation, du romantisme ou de la tendresse etc. ». Et d’ajouter : «Ce rapport à une sexualité instrumentalisée peut-être aussi associé aux valeurs de nos sociétés libérales comme une sorte de consommation du corps».
Si certains comportements sont souvent liés à des contextes particuliers, le pédopsychiatre est formel : « Ce qui est mondialisé c’est le rapport à la compétition et la performance ». Il s’inscrit dans la continuité de Guy Debord et parle de Société du spectacle « comme si on n’existait non pas à travers des valeurs idéalisées mais à travers des identifications à des images. ». Ce qui rendrait nos identités iconiques et donc des identités de semblants.
« Dans ces sociétés là, le rapport à la circulation des images pornographiques est infiniment plus fluide, ce qui pose énormément de questions sur l’importance des réseaux sociaux, en faisant très attention de ne pas croire que ce sont les réseaux numériques qui créent le problème. Ils donnent l’occasion d’exprimer quelque chose et le démultiplient en temps zéro. » poursuit-il. Informé des récentes préoccupations des professionnels de Saint-Martin quant à la recrudescence de sextapes des ados sans qu’il y ait matière non plus à la stigmatisation, il considère : « une de nos responsabilités à la fois de professionnels, d’adultes et de parents, c’est la question de la responsabilisation des jeunes par rapport à leur propre image. Leur propre image vaut quelque chose. Ils valent quelque chose. Le problème c’est que des personnes en souffrance de leur propre estime de soi, veulent se valoriser en développant des images et ne se rendent pas compte des conséquences. Un certain nombre de jeunes peuvent mettre en scène ce qu’il y a de plus intime et l’extimiser. La responsabilité des adultes est d’apporter le message de la gravité de ces effets. »
Il faut selon lui expliquer qu’extimiser ce qu’il y a de plus intime, met en péril un certain nombre de jeunes, d’autant plus quand il y a perte d’anonymat e/ou que cette extériorisation a été faite par effraction. (lorsque les images sont diffusées sans le consentement du ou de la partenaire). « Ce débordement des frontières est une véritable déflagration. Il y a un rapport ente la pudeur et la honte. Lorsqu’on est attaqué dans ces frontières qui nous protègent on se retrouve dans un rapport de honte et d’humiliation et on entre dans une espèce de destructivité de soi qui peut aller jusqu’au passage à l’acte suicidaire (même si Saint-Martin est moins concernée par les gestes suicidaires».
Entre autres phénomènes évoqués, celui de la banalisation de certaines pratiques sexuelles à travers des modèles pornographiques, telles que la fellation ou la sodomie.
« En même temps, et paradoxalement, ce n’est pas la même chose si lors de la visualisation pornographique on voit que les acteurs portent des préservatifs. C’est plus didactique que s’ils n’en portent pas. » Cela renvoie encore à la question de la responsabilité.
Le Dr Benghozi animera une conférence débat à la CCISM mercredi 15 février intitulée « Adolescents, jeunes, adultes, parents, familles… ! Comment accompagner les risques et prévenir les expositions aux dangers ».