07.03.2017

Elections Com 2017 : les propositions des candidats sur l'éducation sont-elles applicables ?

Cette année, l’éducation s’invite comme l’un des thèmes majeurs de la campagne aux élections territoriales de Saint-Martin. La majorité des candidats assimile l’échec scolaire à un problème linguistique, de nombreux élèves n’ayant pas le français pour langue maternelle (mais plutôt l’anglais, l’espagnol ou le créole). Si les programmes sont encore flous, la plupart des candidats en ont dévoilé les grandes lignes. Pour lutter contre le décrochage scolaire, qui fait dans leur logique le lit de la délinquance, ils sont nombreux à proposer la mise en place d’un recrutement local des enseignants, afin non seulement de créer des emplois, mais surtout de dispenser un enseignement bilingue. Organiser un recrutement local des enseignants est-il légalement envisageable ? Est-il par ailleurs pertinent de supputer que parce qu’une personne parle deux langues dans sa vie quotidienne elle est automatiquement qualifiée pour enseigner dans ces deux langues  ? 

Comment les enseignants sont recrutés aujourd'hui ?

A Saint-Martin, l’éducation nationale, est un service de l’État comme dans tous les autres territoires de la République Française. En terme d'organisation, Saint-Martin comme Saint-Barthélemy font partie de l'académie de Guadeloupe. Les enseignants titulaires sont donc des fonctionnaires payés et nommés par l’Etat via le ministère de l’Education nationale. Pour pouvoir enseigner dans un établissement public il faut avant tout passer un concours de la fonction publique (CRPE pour le premier degré, CAPES pour le second). Les mutations se font ensuite par un système de points, accumulés avec l'expérience, la situation familiale, etc.

Les enseignants du 2nd degré qui le souhaitent doivent demander à être mutés dans l'académie de Guadeloupe dans le cadre du mouvement inter-académique. Une fois nommés en Guadeloupe, on leur attribue un poste dans l'académie, certes en fonction de leurs vœux, mais surtout en fonction des postes vacants.

Recruter localement des enseignants de l'Éducation nationale n'est donc pas envisageable. Sauf pour les contractuels, assistants, assistants de langue et intervenants divers. Et encore, pour l'instant le service de l'Éducation des îles du Nord, situé à Saint-Martin, doit faire valider ses demandes d'embauche par le rectorat. La création d’une direction académique, comme annoncée par le recteur Camille Galap, ne changera pas non plus le système de recrutement des titulaires. 

Quelles seraient les alternatives ?

A moins que la COM ne demande à récupérer la compétence éducation, et puisse en assumer les frais inhérents, le recrutement des enseignants ne relève tout simplement pas de son domaine de compétences. Il est en revanche possible, comme le proposent certains candidats, d'imaginer un système associatif de soutien scolaire chapeauté par la collectivité, avec des enseignants indépendants, recrutés localement. La loi organique stipule en effet que la COM peut « déterminer les conditions dans lesquelles est dispensé dans les écoles maternelles et primaires de la collectivité un enseignement complémentaire en anglais, afin de faciliter, par la prise en compte des spécificités culturelles de Saint-Martin, l’apprentissage de la langue française, et, […] adopter un plan de développement de l’enseignement de la langue française tendant à prendre en compte les spécificités culturelles et linguistiques de Saint-Martin. » Toutefois, depuis 2007, aucun élu, même parmi ceux issus du corps enseignant, n’a mis en place ce genre d’initiatives, ni ne l'a simplement proposé. 

Ce qui est possible

L’autre cheval de bataille des candidats, le bilinguisme, est en réalité déjà en train d’être expérimenté. En plus des dispositifs bi-langues (deux langues vivantes dès la 5e) et des classes euro-caribéennes, quatre classes de moyenne section et une classe de sixième sont concernées par un enseignement bilingue* depuis la rentrée 2016-2017. Les élèves y reçoivent la moitié des cours en français et l’autre en anglais au cours de la semaine (lundi et mardi en anglais, jeudi et vendredi en français et mercredi au choix de l’enseignant, en maternelle).

Généraliser cette initiative suppose un vivier d’enseignants volontaires non seulement bilingues, mais surtout capables d’enseigner leur matière dans les deux langues. S’ils sont relativement faciles à trouver au premier degré, cela devient plus compliqué au collège où les enseignements sont disciplinaires, donc plus techniques, et s’appuient sur un vocabulaire spécifique. Il leur faut non seulement maîtriser une matière, mais également savoir l'enseigner en français et en anglais. Le nombre de classes bilingues va doubler à la rentrée prochaine, pour assurer la continuité de ce type d’enseignement à ceux qui le reçoivent déjà et passent au niveau supérieur, ainsi que le proposer à nouveau dans les mêmes classes que cette année.

Les enseignants des classes bilingues sont majoritairement originaires de Saint-Martin, de Guadeloupe ou de métropole. Leur capacité à enseigner en anglais découle de leur parcours de vie, ou de leurs études. Il s’agit pour la plupart de titulaires nommés à Saint-Martin, mais également de contractuels. Ils peuvent passer une habilitation pour enseigner leur matière en anglais.

Tant que les recrutements ne seront pas fléchés, c’est-à-dire que l’on ne sera pas nommé à Saint-Martin pour des qualifications particulières (capacité à enseigner en anglais, FLE…), il faudra des années avant de voir s’étendre à plus grande échelle les classes bilingues. 

 

* Quatre moyennes sections des écoles maternelles Eliane Clark et Jean Anselme (Quartier d’Orléans), Jérôme Beaupère (Sandy Ground) et Siméonne Trott (Marigot) et une sixième du collège de Quartier d’Orléans.

Fanny Fontan