03.05.2017

Accusée d’avoir vendu du cognac Hennessy contrefait

Une gérante de la partie française a comparu devant le tribunal correctionnel de Saint-Martin pour avoir importé, exporté et vendu des bouteilles contrefaites. Elle a été dénoncée par la maison Hennessy.

Lors d’un contrôle de ses produits chez un commerçant de la partie hollandaise, la maison Hennessy constate que des bouteilles sont contrefaites. Précisément, elles sont «décodées», c’est-à-dire qu’elles comportent un code différent de celui qui est posé lors de l’embouteillage à Cognac, en Charente. Autrement dit, elles ne correspondent pas au produit initial.

Six bouteilles sont saisies et ramenées en métropole pour y être analysées. Le laboratoire Hennessy affirme également que le contenu est différent. Que ce n’est pas du cognac Hennessy. La maison porte alors plainte contre le distributeur basé lui en partie française dont le nom lui a été fourni par le commerçant où le contrôle a été effectué. La gérante est ainsi poursuivie pour avoir importé et exporté de l’alcool contrefait pour la revente. Elle a comparu devant le tribunal correctionnel de Saint-Martin le 27 avril.

DES CODES SELON LA REGLEMENTATION FRANÇAISE

«C’est un débat technique», commente le vice-procureur Michaël Ohayon. Les échanges à la barre ont en effet porté sur le codage et le décodage des bouteilles. La maison Hennessy présente à l’audience a expliqué qu’un code était appliqué sur les étiquettes conformément à la réglementation française et européenne pour des raisons sanitaires. Un second code est posé au niveau de la capsule, du bouchon ; il n’est visible que si on ouvre la bouteille. Seuls les produits codés donc conformes à la réglementation doivent être vendus. Les autres, les décodés, sont contrefaits, donc interdits. Néanmoins, les deux types de produits sont distribués selon deux circuits distincts. Une différence bien connue dans le milieu.

La gérante mise en cause ne l’ignore pas. Elle a déjà fait l’objet de poursuites similaires quelques années plus tôt. Dans cette nouvelle affaire, elle avoue également avoir vu que les bouteilles étaient décodées. Après le dépôt de plainte, les enquêteurs perquisitionnent son domicile qui lui sert d’entrepôt, et y découvrent 197 bouteilles contrefaites. Elle les a achetées auprès d’un distributeur basé à Curaçao, auprès de qui elle a l’habitude de s’approvisionner. La marchandise part de Rotterdam et arrive au port de Pointe Blanche à Philipsburg, puis la gérante la transporte chez elle à Saint-Martin. «Lorsque j’ai reçu les caisses, j’ai vu que les bouteilles étaient décodées», avoue-t-elle. Elle lui a même envoyé un email à ce sujet. «Mais elle a gardé les bouteilles au lieu de les retourner», relève l’avocat de la maison Hennessy, spécialisé en droit de la propriété intellectuelle.

LA DÉFENSE REPORTE LA FAUTE SUR UN DISTRIBUTEUR DE CURAÇAO

La gérante se défend en reportant la faute sur le distributeur de Curaçao. «Il n’est pas poursuivi dans cette affaire. Il n’apparaît pas dans le dossier», s’étonne son avocat, maître Montravers. Ce dernier ne comprend pas pourquoi la maison Hennessy n’a pas déposé plainte contre celui qui «inonde le marché caribéen de bouteilles contrefaites». Il dénonce aussi le fait que les analyses du cognac ont été faites par la maison Hennessy elle-même et pas, par souci de transparence, par un laboratoire indépendant.

Dans sa plaidoirie, maître Montravers va plus loin et tente de montrer que la société charentaise est elle même à l’origine de l’organisation des deux réseaux de distribution. Il a apporté quatre bouteilles de cognac, codées. Il fait observer au tribunal des détails, notamment une encoche dans le verre et un code particulier composé de deux lettres, OH. «Or, sur les bouteilles décodées et saisies, on lit HH», note l’avocat en montrant les photos desdites bouteilles contrefaites figurant au dossier. De plus, «vous remarquerez que le culot des bouteilles [celle qu’il a apportées au tribunal] est plat, or celui de la bouteille contrefaite est bombé», lance-t-il. Alors que les magistrats regardent avec attention ces détails, les deux représentants de la maison Hennessy, assis sans le public, s’insurgent. «Nous avons changé le design des bouteilles en 2015 [les faits examinés remontent à 2013, ndlr]… Les codes sont différents selon les pays d’expédition», explique-t-ils. Et de lâcher que «ces bouteilles n’étaient pas destinées au marché de Saint-Martin».

Par ailleurs, maître Montravers a également soulevé la nullité de la procédure car la plainte a été déposée en septembre 2014 par Hennessy alors que, selon le code de la propriété intellectuelle, elle aurait dû l’être dans les vingt jours ouvrables suivant le procès-verbal de saisie (des bouteilles) rédigé par le président du tribunal de Fort de France, PV qui a été dressé en décembre 2013, soit quelques semaines après le contrôle de Hennessy. Le vice-procureur Ohayon ayant reçu les conclusions de maître Montravers tardivement, il n’a pas pu les étudier et se prononcer. L’incident a donc été joint au fond. Si le tribunal venait à confirmer la nullité, les bouteilles saisies et les emails entre la mise en cause et le distributeur à Curaçao seraient retirés du dossier. Or ce sont les éléments sur lesquels Hennessy s’appuient.

Enfin, l’avocate de la mise en cause estime que les faits reprochés d’import-export ne sont pas justifiés en raison du traité de Concordia qui stipule «la libre circulation des personnes et des marchandises» entre les deux parties de l’île. Et de préciser que ceux qui auraient pu l’être sont ceux de «stockage» de bouteilles contrefaites ou décodées.

Le jugement a été mis en délibéré au 29 juin. Le parquet a requis une amende de 7 500 euros, la publication du jugement et la confiscation des scellés.

Estelle Gasnet