Et si le confinement relançait le débat sur la nécessité d'un centre de détention à Saint-Martin
C’est l’une des particularités de Saint-Martin : la partie française reste dépendante de la Guadeloupe au niveau judiciaire. Bien qu’elle ait un tribunal de proximité avec ses propres magistrats, un parquet détaché avec deux vice-procureurs qui traitent tous les dossiers concernant Saint-Martin (sauf les affaires criminelles qui sont traitées par le pôle criminel de Pointe-à-Pitre), le territoire n’abrite pas de centre de détention. Aussi les personnes condamnées à de la prison sont transférées en Guadeloupe par avion.
Depuis 2016, il est toutefois possible de placer des individus en détention provisoire à Saint-Martin dans l’attente de leur procès en comparution immédiate ; avant octobre 2016, les personnes étaient en effet directement transférées en Guadeloupe et jugées à Basse-Terre. Cette détention est autorisée grâce à l’article 937 du code de procédure pénale, une disposition unique en France qui ne concerne que Saint-Martin et Saint-Barthélemy. La détention se fait dans une cellule spécialement aménagée dans les locaux de la police aux frontières (PAF) à Marigot.
C’est dans cette cellule que l’auteur présumé de l’homicide commis le 22 mars sur le parking d’un supermarché à Simpson bay a été placé. Pour rappel, l’individu qui a blessé mortellement le pilote d’un scooter qu’il tentait de voler, a été interpellé par les gendarmes en partie française. Le 29 mars, il a été présenté à un juge d’instruction qui l’a ensuite mis en examen, l’audition s’est déroulée en visioconférence. Le maintien en détention a également été prononcé.
Selon la logique administrative, le mis en cause devait être transféré en prison en Guadeloupe. Sauf que, la décision intervient en pleine crise de Covid-19 qui a imposé la suspension de tous les vols commerciaux entre Saint-Martin et la Guadeloupe ; seul un vol est maintenu pour assurer la continuité territoriale et permettre aux Saint-Martinois d’aller se faire soigner (chimiothérapie, traitements lourds, etc.) et aux professionnels de se déplacer.
Si en temps normal, les services de l’Etat réquisitionnent au dernier moment des places pour assurer le transfert d’un prévenu ou d’un condamné, dans le cas du suspect de l’homicide de Simpson bay, la décision était plus délicate à prendre. Réquisitionner quatre places pour le suspect et les gendarmes, signifiait reporter les soins de Saint-Martinois. Ainsi que réduire d’autant les effectifs des forces de l’ordre, qui auraient, ensuite, dû être placés en quatorzaine.
Le bon sens était alors de maintenir le suspect en détention à Saint-Martin d’autant que les auditions avec le juge d’instruction chargé de l’enquête, en visioconférence étaient possibles. Sauf que.
En effet, le fameux article 937 du code de procédure pénale qui a instauré cette mesure de détention localement, ne l’a prévue que pour une période de trois jours. C’est-à-dire qu’au-delà de trois jours, soit le prévenu est transféré à la maison d’arrêt de Basse-Terre ou centre pénitentiaire de Baie-Mahault, soit le prévenu est jugé à Saint-Martin, ce qui dans ce cas n’est pas possible car l’enquête n’est pas terminée et que l’auteur des faits ne peut comparaître devant le tribunal de proximité de Saint-Martin, qui n’est pas compétent pour juger ce type de faits criminels.
Dans ce contexte, la préfecture de Saint-Martin a publié un arrêté «organisant la détention provisoire [du] prévenu dans les locaux de la PAF au delà de trois jours». Malgré cela, il a été décidé de transférer le suspect en Guadeloupe. Un avion privé a été affrété par les services de justice de Guadeloupe ; selon nos sources, la prestation a coûté entre 5 000 et 7 000 euros.
Une situation certes aujourd’hui unique mais qui soulève plusieurs questions : si d’autres individus venaient à être placés en détention provisoire durant cette période de confinement, que fera la justice ? Affrétera-t-elle d’autres vols privés ou réquisitionnera-t-elle des places sur le vol commercial ? Un centre de détention ne serait-il pas nécessaire à Saint-Martin ?
Le débat pourrait être relancé. Il avait été suggéré dans des rapports remis au ministère de la Justice, dans les années 2010 de construire un centre en modulaire pour organiser la détention de prévenus quelques semaines, dans l’attente de leur procès à Saint-Martin (même si ce n’est pas en détention provisoire), cela permettait aux personnes de rester à Saint-Martin, d’avoir des visites et de s’entretenir avec un avocat de la place. Sans compter, au final, les économies de transfert.