La CCISM et la Fipcom répondent à la préfète
"Madame La Préfète Déléguée,
Nous sommes étonnés et perplexes de votre communiqué de presse, en date du 4 septembre, intitulé «Droit de réponse de la Préfecture de Saint - Barthélémy et de Saint-Martin, et de l’Agence Régionale de Santé de la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint -Barthélémy, au Collectif de 15 médecins de Saint-Martin».
1 – Nous avons pris bonne note qu’il semble essentiel de votre part de préciser que vous n’êtes pas une Sous-Préfecture mais une Préfecture Déléguée. Ceci semble être le point charnière des relations que vous avez entendu mettre en œuvre sur notre territoire, depuis votre arrivée.
Nous sommes parfaitement conscients des pouvoirs conférés par les textes, mais également de l’absence de concertation avec les principaux organes, acteurs et syndicats du territoire, dans vos prises de décisions. L’Histoire de notre île de Saint-Martin remonte à plus de 400 ans. Elle a connu bien des vicissitudes et en connaitra beaucoup d’autres. La résilience de sa population s’est toujours appuyée sur le partage et l’affecte.
Votre décision, encore une fois unilatérale, entraîne l’asphyxie de la population et de son économie. Nous nous permettons de vous rappeler le traité de Concordia qui est une convention coopérative signée en 1648 entre des mandataires Français et Hollandais concernant l'occupation, la souveraineté et le partage de l'île de Saint-Martin dans les petites Antilles après le départ des Espagnols, avec une libre circulation des biens et des personnes sur l'île. Cela entend naturellement le libre accès à l’enseignement de notre jeunesse, quel que soit son lieu de résidence.
2 – Vous semblez vouloir discréditer nos médecins généralistes de l’île, alors que ces derniers sont au plus proche de la population. Votre position nous semble pour le moins surprenante et nous ne pouvons y souscrire.
3 – Que ce soit en Guadeloupe, ou dans les îles voisines, systématiquement, il est indiqué que les cas covid-19 auraient été contractés au sein de notre île, à l’occasion d’un déplacement ou d’un transit à Saint-Martin (ce fut le cas pour le nouveau Préfet de Guadeloupe)…Les médias extérieurs s’en font l’écho, et personne ne vient démentir de telles informations, nuisant irrémédiablement à l’avenir de notre île. Jamais, vous n’avez contredit ces rumeurs de contaminations au sein de l’île de Saint-Martin. Ce manque de communication pénalise l’île en son entier. Nous vous remercions, dans la mesure du possible, de bien vouloir y remédier s’il vous plaît.
4 - Vous nous confirmez votre parfaite collaboration avec le Ministère des Outre-Mer sur ce sujet. Nous ne pouvons que nous en réjouir.
C’est une information essentielle et nous vous remercions de l’avoir mise en exergue. Dans ces conditions, nul doute, que le Ministère des Outre-Mer prendra les mesures économiques adéquates et adaptées, en lien avec vos décisions, pour sauvegarder financièrement tout le secteur économique, impacté, par la décision de poser des containers à la frontière, avec des carcasses de voiture (les presses internationales et notamment américaines ont clairement relayé des photos de vos barrages, qui ne sont ni dignes d’un état de droit, et encore moins d’une île touristique, ni légaux au regard du traité de Concordia, même si vous avez pris le soin de les positionner en partie Française). Chacun devra prendre ses responsabilités.
Pour notre part, nous prenons nos responsabilités, en maintenant en « survie » nos entreprises contre vents et marées.
Nous attendons donc les mesures adaptées, qui vont nous permettre de passer cette période extrêmement compliquée, au niveau national, mais encore plus compliquée avec votre décision de limiter la libre circulation entre les deux parties de notre territoire.
L’accueil actuel fait à nos touristes, l’absence de visibilité que vous faites subir à toute une population (civile ou économique), avec des arrêtés préfectoraux de 15 jours « renouvelables », créent une incertitude et un désordre insupportable, dont les conséquences immédiates seront l’annulation totale de la destination dans les circuits touristiques et économiques.
5 – Vous justifiez ces entraves à la liberté de circulation, par une nécessité d’ « investiguer la situation épidémiologique réelle à travers une campagne de dépistage côté Français » (ndlr votre dernier arrêté en vigueur) alors que :
a) La population qui souhaite se faire détecter covid-19 se heurte encore et toujours à une insuffisance des matériels permettant d’effectuer les tests : L’accueil à l’hôpital est refusé fermement (vu le manque de moyens en général) – les laboratoires sont dans l’incapacité de donner des rendez- vous avec des résultats dans des délais opportuns (également en raison de la rupture de stock des tests) – etc…
b) L’asphyxie progressive de l’économie, en cette basse saison, entraîne
des situations de détresses sanitaires bien plus graves que la transmission du covid-19 et une impossibilité de suivi normal des soins pour des maladies chroniques. Vous évoquez 7 morts du covid-19 depuis le 1er mars : nous ne minimisons certainement pas les effets du covid-19, ni sa propagation, mais allez-vous comptabiliser les morts consécutives à vos prises de décisions ?
c) Quant aux containers à la frontière que vous avez souhaité réinstaller, depuis un mois, et dont vous justifiez la présence, par arrêté pris pour une période de 15 jours, empêchent-ils la circulation du virus (seul motif officiel justifiant à ce jour vos décisions) ?
d) Le refus d’accepter que les enfants domiciliés en partie hollandaise, et réciproquement, puissent réintégrer leurs établissements scolaires, dans lesquels ils sont régulièrement inscrits, après une période de près de 6 mois de déscolarisation forcée, a des effets bien plus graves pour leur santé, que les raisons, qui motivent votre décision ; le refoulement de ces enfants au détour d’une route départementale, vient heurter les « valeurs de la République » que nous souhaitons leur apporter et ne peut aucunement se concevoir. Beaucoup d’enfants n’ont pas pu effectuer leur rentrée scolaire, et sont même menacés d’être radiés des listes des écoles, alors que l’enseignement est obligatoire pour ces enfants. Les conséquences en seront extrêmement dommageables.
La pression des préfets et des gouvernements, des îles voisines. La pression de la Collectivité dont les ressources, déjà exsangues, se tarissent comme peau de chagrin. La pression sociale et économique des 2 parties de ce territoire. Le doute que chacun d’entre nous ressent.
e) Madame la Préfète, nous sommes à même de comprendre les difficultés que vous devez assumer pour gérer la situation exceptionnelle actuelle.
Elles sont également les nôtres :
Mais nous ne pouvons comprendre vos positions restrictives, qui ne peuvent être justifiées uniquement par la propagation du virus COVID-19. Nous vous demandons de revoir la stratégie adoptée pour gérer cette crise.
Notre démarche n’est pas une révolte, nous suivons les gestes barrières, et nous sommes les premiers à les imposer au sein de nos entreprises. Le respect de la vie d’autrui ne relève pas que de la décision d’une autorité, mais bien d’un consensus commun entre l’autorité et la population, dans le cadre d’une démocratie.
C’est également un cri d’alarme qui anticipe une explosion de notre société avec des conséquences, que ni vous, ni nous, ne serons à même d’enrayer.
Au vu de ce qui précède, nous vous confirmons que nous soutenons et rejoignions le Collectif des médecins de notre île. Nous vous demandons instamment de retirer les entraves à notre liberté de circulation, entre la partie néerlandaise et la partie française afin de permettre :
a) à nos enfants de suivre leur scolarité comme n’importe quel enfant de France.
b) à nos entreprises de reconstituer leur trésorerie déjà très impactée par ces trois dernières années.
Nous sommes à votre disposition pour essayer de trouver les meilleures solutions, les meilleures adaptations possibles face à cette situation inique au niveau mondial."
Par Angèle Dormoy et Michel Vogel, présidents respectifs de la CCISM et de la Fipcom.