« Rendre à Saint-Martin ce qu’elle m’a donné »
Aussi loin qu’elle s’en souvienne, Alberta Moreau a toujours voulu travailler dans le domaine de la justice. Née à la Dominique d’une mère dominiquaise et d’un père haïtien, elle grandit loin de ses parents, installés à Saint-Martin.
À l’âge de 13 ans, elle décide de les rejoindre à Agrément, pour apprendre le français et bénéficier d’une instruction de qualité. « Mon frère est né à Saint-Martin et comme j’étais anglophone et lui francophone, nous avions du mal à communiquer » se rappelle-t-elle. Elle poursuit sa scolarité au collège Soualiga puis au lycée général des îles du Nord où elle obtient son baccalauréat. « J’étais censée rejoindre une partie de ma famille à Londres pour continuer mes études mais je voulais aller à Paris où l’université est moins chère. Tout le monde m’a dit que ce serait plus dur mais je voulais leur prouver le contraire » confie-t-elle.
Fidèle à ses rêves d’enfant, elle s’inscrit en licence de droit. Bien que boursière, elle ne bénéficie d’aucune autre aide financière et doit trouver un emploi pour financer ses études. D’autant plus que son petit frère alors âgé de 16 ans, la rejoint dans l’Hexagone et elle doit subvenir à ses besoins. « Je n’avais plus le droit à une chambre étudiante et j’ai dû trouver un appartement. » Elle devient assistante pédagogique et travaille 35 heures par semaine en plus de ses cours à la fac. Commence alors un rythme effréné, fait de nuits blanches et de week-ends à la bibliothèque.
« En L2 j’ai voulu arrêter. J’ai répondu à une offre d’emploi et on m’a proposé une offre de para légale, en valorisant mon bilinguisme. C’était un poste à responsabilités et on m’a dit très clairement que je n’aurais pas le temps de continuer mes études. J’ai réalisé que si l’on reconnaissait déjà mes capacités alors que je n’avais pas encore obtenu mon diplôme, j’aurais des opportunités encore plus intéressantes avec un Master ». Alberta décide de refuser le poste, de continuer à travailler dans l’éducation nationale et de se réinscrire à la fac. Elle devient notamment coordinatrice de projet au rectorat de Paris.
Elle continue donc ce qu’elle qualifie de « hustle » (tumulte), rencontre son actuel mari qui a également grandi à Saint-Martin, tombe enceinte. « J’ai eu mon premier enfant lors de ma troisième année de licence. J’ai accouché puis j’ai passé et obtenu mes examens. ». Idem lors de sa première année de Master. « Je n’ai jamais eu une scolarité simple mais je ne regrette rien du tout. Le fait d’avoir dû gagner ma vie m’a montré le monde du travail » considère Alberta qui, aujourd’hui âgée de 30 ans et maman de deux enfants, est en dernière année de Master de Droits et libertés fondamentaux dans les collectivités et entreprises, à l’université Sorbonne Paris Nord. « Cette bataille m’a fortifiée » assure-t-elle.
Durant ses études, elle revient régulièrement à Saint-Martin et s’engage comme bénévole auprès de la Semsamar, qui lui octroie une bourse pour sa dernière année. Elle qui avait entamé un parcours en droit des affaires, décide finalement de se « rapprocher du côte plus humain du droit », convaincue que « l’argent n’est pas tout ».
Le déclic s’opère lors de la fermeture de la frontière entre les deux parties de Saint-Martin suite à l’épidémie de coronavirus en mars 2020. « Lorsque j’ai vu que des enfants de nationalité française, résidant côté hollandais, ne pouvaient se rendre à l’école côté français, j’ai décidé de poursuivre en droit de étrangers. J’ai d’ailleurs parlé de cet épisode dans ma lettre de motivation ». Elle qui a subi une forme de racisme durant son adolescence à Saint-Martin du fait de son statut d’étrangère, a pris conscience lors de ses actions de bénévolat de la détresse de beaucoup d’étrangers de l’île qui ont du mal à régulariser leur situation. Constat qu’elle réitère alors qu’elle effectue un stage au sein de l’association Trait d’Union jusqu’à la fin du mois de mai. « Je vis dans cette thématique depuis toujours et j’aimerais rendre à Saint-Martin ce qu’elle m’a donné ».
Contrairement à beaucoup de jeunes diplômés qui préfèrent faire carrière en métropole ou à l’étranger et prévoient de revenir peut-être un jour sur l’île, Alberta, tout comme son mari diplômé en sciences de l’éducation et spécialisé en « terrains sensibles », a orienté ses études en fonction des besoins de l’île et prévoit de s’y réinstaller dès l’obtention de son diplôme. Son objectif ? Créer une structure locale pour défendre les droits des étrangers.