Une femme écope d'un an de prison ferme pour avoir escroqué l'Etat
L’affaire avait été appelée en comparution immédiate pour la première fois le 30 juin mais les deux protagonistes avaient demandé un délai pour préparer leur défense comme la loi l’autorise. Après plusieurs renvois, LC et DS ont comparu devant le tribunal de proximité le 22 octobre pour escroquerie, blanchiment et recel de bien provenant d’une escroquerie.
Précisément il est reproché à LC, native de Madras en Inde et âgée de 37 ans, d’avoir obtenu une aide issue du fonds mis en place par le gouvernement pour aider les sociétés impactées par la crise de la covid-19 en faisant une fausse déclaration puis d’avoir transféré une partie de cette somme sur un compte à l’étranger. DS, son mari de quatre ans son aîné, est accusé d’avoir profité de cet argent alors qu’il savait qu’il provenait d’une escroquerie.
LC dirige une entreprise de conciergerie à Saint-Barth. L’an passé en pleine crise sanitaire, elle formule une demande d’aide à l’Etat. Elle remplit le dossier, déclare un chiffre d’affaires de quelque 2 millions d’euros et obtient 229 000 euros au titre du fonds de solidarité. Elle réalise un transfert de 158 000 euros vers un compte à Dubaï. Cette opération est détectée par les services Tracfin de lutte contre les circuits financiers clandestins et le blanchiment d’argent.
Ces derniers observent que LC a reçu plusieurs virements de l’Etat et émettent des doutes quant à l’usage des fonds. Le transfert vers Dubaï est bloqué et le parquet de Saint-Martin est saisi par Tracfin. C’est ainsi qu’une enquête a été ouverte et confiée à la section de recherches de la gendarmerie de Saint-Martin.
Maître Luc Godefroy, argue que sa cliente avait l’intention d’utiliser ces fonds pour «réaliser un investissement» dans le cadre du développement de son entreprise, précisément elle devait acheter «un carnet d’adresses de milliardaires» pour la somme de 150 000 euros sur les conseils d’une amie avocate à Dubaï. Maître Godefroy reconnaît «un manque de professionnalisme» de la part de sa cliente qui a indiqué «un chiffre d’affaires prévisionnel» dans l’élaboration du dossier d’aide au lieu de mentionner le chiffre d’affaires réalisé les années précédentes.
Il répète que LC n’avait aucune intention de frauder, «qu’elle n’a pas blanchi d’argent car cet argent devait bien servir à payer un service, elle voulait investir 150 000 euros pour en gagner 10 fois plus». «Dans ce ghetto de milliardaires qu’est Saint-Barth, il y a des petites gens qui ont aussi envie de gagner de l’argent. Madame C. a elle aussi voulu sa part», déclare-t-il. Et de reconnaître que la seule erreur qu’elle ait pu faire est de «s’acheter un sac Louis Vuitton». «Mais il ne faut pas exagérer, ce n’est pas non plus une somme extraordinaire», souligne-t-il.
Le substitut du procureur a requis une amende de 150 000 euros et une peine de prison de quatre ans dont deux assortis d’un sursis. Il a aussi demandé un mandat de dépôt différé.
A côté de LC sur le banc des accusés, DS, celui qui doit devenir bientôt son ex-mari. Le couple est en effet en instance de divorce. «L’amour rend aveugle…. et le mariage rend la vue», ce sont par ces deux adages que maître Marion Tillard a commencé sa plaidoirie. «Quand DS a rencontré LC, il savait qu’il aurait des histoires avec elle», raconte l’avocate. Ils se sont tout de même mariés en 2011, un an après leur rencontre, «sous le régime de la séparation de biens».
LC a toujours mené ses affaires professionnelles seule. «Ce qu’elle faisait a toujours été flou », a confié DS à son conseil. La mère (adoptive) de la prévenue auditionnée dans le cadre de l’enquête, «l’a qualifiée de roublarde ; elle a raconté que sa fille, enfant, piquait dans son porte-monnaie ».
Au sujet de l’obtention de l’aide de l’Etat, «bien sûr, mon client ne pouvait pas ignorer la situation, que son épouse recevait de l’argent d’une manière douteuse... Mais il ne pouvait pas non plus aller à la gendarmerie la dénoncer… Il ne pouvait pas la dénoncer même si le couple battait déjà de l’aile, LC ayant fait preuve d’infidélités», admet maître Tillard qui précise que LC est aujourd’hui enceinte d’un autre homme.
DS assure qu’il n’a tiré aucun bénéfice de l’aide ainsi obtenue. Sur ses relevés bancaires apparaissent des virements de LC suivis immédiatement de retrait en espèces du même montant. «A sa demande, il avançait l’argent pour des achats et elle lui remboursait», explique son conseil. «Le seul cadeau qu’il ait reçu d’elle est une perceuse d’un montant de 200 euros.»
«Oui, il a laissé faire… Moralement son comportement est condamnable mais l’est-il pénalement ? » C’est à cette question que maître Tillard a souhaité que le tribunal réfléchisse avant de prendre sa décision. Pour le substitut du procureur, la réponse semble être non puisqu’il n’a requis aucune peine à l’encontre de DS. Ce sera aussi l’avis du tribunal qui le relaxera. Il lui rendra également l’argent bloqué sur son compte bancaire et les 2 300 dollars ainsi que son smartphone et tablette saisis lors de l’enquête.
Cependant, les juges ont reconnu coupable LC des faits reprochés. Il l’a condamnée à une peine de deux ans de prison dont un an ferme. Il a aussi prononcé un mandat de dépôt différé*. LC est convoquée le 8 novembre prochain devant le procureur pour la mise à exécution de la peine. Le tribunal a aussi reçu la constitution de partie civile de l’Etat, LC est condamnée à lui rembourser les 229 000 euros. Son ordinateur et son smartphone saisis ont été confisqués.
*Généralement les mandats de dépôts ont un effet immédiat, c’est-à-dire que les personnes sont transférées le jour même en prison en Guadeloupe par une escorte de plusieurs gendarmes. Mais vendredi en raison des blocages et de l’éventuelle nécessité des gendarmes sur le terrain, le parquet et le tribunal ont préféré différer le transfert.
Trois renvois dans cette affaire
L’affaire avait été appelée le 30 juin pour la première fois et renvoyée au 8 septembre. Dans cette attente, le tribunal n’a pas pris de mesures de sûreté (contrôle judiciaire ou autres) à l’encontre des deux prévenus qui avaient indiqué résidé en partie hollandaise.
Le 8 septembre, DS est présent à la barre assisté de maître Tillard. Mais LC n’a toujours pas d’avocat. Elle confirme que depuis fin juin, elle a déménagé en partie française et demandé l’aide juridictionnelle à la mi août et n’a reçu aucune réponse. Le tribunal lui désigne alors l’avocat de permanence et renvoie l’affaire à fin septembre.
Ce jour-là, maître Tillard est absente pour raison de santé et l’avocat d’office est hors de l’île pour une longue période. Un autre conseil doit donc être nommé pour défendre LC. Ce sera au final maître Godefroy au titre de l’aide juridictionnelle.
Précision apportée à la demande du père de l'enfant porté par la prévenue : "Le père de l'enfant porté par la prévenue n'était pas l'amant de celle-ci mais bien son nouveau compagnon."