19.01.2022

Affaire du marché toitures à 5M€ : le parquet reconnaît la culpabilité de D. Gibbs

Mais requiert une dispense de peine.

Lundi et mardi, le tribunal de Saint-Martin a examiné une série de dossiers dans lesquels Daniel Gibbs, Annick Petrus et Valérie Damaseau sont accusés de ne pas avoir respecter les règles de la commande publique. Les contrats en question concernent plusieurs périodes entre 2017 à 2019.

Le tribunal a examiné lundi les affaires dites de l’expert d’assuré et des travaux de la maison de Madame C. Mardi matin, le procès s’est poursuivi avec «l’affaire des toitures » impliquant Daniel Gibbs interrogé pendant pratiquement deux heures.

Les accusations

En tant que président de la Collectivité, il lui est reproché d’avoir favorisé des entreprises pour réaliser des travaux de réfection de toitures de particuliers après Irma et de les avoir payé sans respecter les règles de la commande publique.

Ce financement via un protocole transactionnel a été approuvé en janvier 2019 par le conseil exécutif dont la délibération a été signalée le mois suivant par la préfète de Saint-Martin au procureur de Basse Terre, lequel a aussitôt saisi la section de recherches pour enquêter.

Le déroulement des faits

«En mars 2018, nous visitons avec la préfète une maison à Quartier d’Orléans dont la toiture a été refaite par les Compagnons bâtisseurs… et je me dis que cet effort doit être poursuivi et annonce ainsi que la COM va donc aider à la réfection des toitures des personnes désœuvrées», raconte Daniel Gibbs au tribunal, qui demande à ses services de «mettre en musique sa décision».

Directeur de cabinet, directeur des affaires financières, tout le monde réfléchit et la décision suivante est prise : la COM va lancer un marché public afin de recruter des entreprises qui vont rénover les toitures. Les bénéficiaires seront sélectionnés par la collectivité et les entreprises payées par la COM.

Dans le respect du code de la commande publique, un marché est publié en mai 2018. Il se compose de quatre lots (par secteur géographique) pour la pose des toitures et d’un cinquième lot pour la fourniture des matériaux. D’un montant de 5 millions, ce marché n’est pas soumis au contrôle de légalité de la préfecture conformément à la réglementation.

Bien que la procédure administrative est régulière, le marché « est truffé d’irrégularités » : la COM ne peut financer les travaux de particuliers sauf en cas d’urgence impérieuse. Elle est alertée quelques semaines avant la fin du marché qui est alors immédiatement arrêté. Le trésorier payeur refusant de payer les entreprises qui ont déjà réalisé des travaux pour un montant total de 352 225 euros, en raison de l’illégalité de l’objet du marché, les services de la COM doivent trouver un moyen pour tout de même indemniser les entreprises. C’est ainsi que sept protocoles transactionnels (un par entreprise) sont passés entre la COM et les sociétés MWI, Sosamart, Hardtec, Omega Construction, Orléans Hardware, Saint-Martin Charpentes location et Saint-Martin matériaux.

Le choix des entreprises

Ce qui interpelle les gendarmes et le tribunal est le choix des entreprises dont «certains dossiers étaient légers», précisément celui de MWI. «Elle n’avait pas d’assurance, elle n’a pas fourni tous les documents administratifs nécessaires mais a présenté la facture la plus élevée ! », souligne le tribunal. Elle a en effet posé trois toitures pour un montant de 103 000 euros. A noter que MWI a fait l’objet d’une instruction à part et est aussi poursuivie pour recel et est convoquée devant ce même tribunal le 10 mars prochain. A la barre, Daniel Gibbs a précisé que «le technicien de la COM avait expliqué au conseil exécutif le choix des entreprises et nous lui avons fait confiance».

Les éléments de l’enquête font ressortir que deux des cinq lots ont été infructueux et que l’ancien directeur de cabinet du président, Hervé Dorvil, a contacté plusieurs entreprises pour les inciter à candidater sur ces lots sachant qu’un nouveau marché allait être lancé. Il ressort aussi de l’enquête que les conditions d’attribution des lots ont été divulguées à des entreprises sélectionnées en amont.

Coup de com ?

Les gendarmes estiment en outre que le marché était largement sous-évalué. «Le prix moyen d’une toiture facturé est de 40 000 euros, la COM voulait en rénover 400, soit un total de 17 millions… Or le marché n’était que de 5 millions d’euros…», fait remarquer le tribunal. Et de demander au président comment ce montant a été fixé. «Il a été fixé selon nos possibilités. J’ai demandé au directeur des affaires financières quel budget pouvait-on dégager et il m’a répondu au maximum 5 millions », répond Daniel Gibbs.

«Ne s’agissait-il pas plutôt d’un coup de com de votre part ? d’autant plus que vous avez beaucoup communiqué sur cette opération», a demandé la présidente du tribunal dont l’assesseur ajoute «cela pouvait être des cadeaux à de potentiels électeurs».

«Nous voulions aider le maximum de personnes», répond Daniel Gibbs. «Vous aviez prévu large quand même : 400 toitures… Je ne sais pas combien de toitures endommagées après Irma mais 400, c’est beaucoup », commente le tribunal. «Nous étions en situation d’urgence. Aux côtés de l’Etat qui a manifesté la solidarité nationale, nous voulions aussi faire cet effort de solidarité à notre niveau», ajoute le président qui insiste sur le travail des agents. «Je dis ce que je veux faire, je suis d’accord sur le principe de faire quelque chose. Mais comment le faire ? là, je laisse mes services faire ».

Concernant le protocole transactionnel, «on reproche à Daniel Gibbs le règlement du marché, mais qui a choisi le mode de règlement ? C’est écrit dans la procédure, ce ne sont pas les élus qui ont choisi le protocole », insiste maître Petit. «Le choix du protocole n’a pas influencé le marché… Il n’est venu que régulariser une procédure pas faite dans les règles de l’art. »

Le choix des bénéficiaires

La compétence des agents est aussi évoquée lorsque le tribunal aborde le choix des bénéficiaires.

«Comment les personnes dont les toitures allaient être refaites, ont-elles été choisies ?, demande le tribunal.

- Ce sont les services qui les ont sélectionnées à partir de fichiers de la CAF, du Pôle Solidarité Familles et d’association comme la Croix Rouge, répond le président.

- Est-ce que les personnes les plus compétentes (qui ont opéré ces choix) ?

- Je présume que oui… »

Lors de l’enquête, Annick Petrus alors vice présidente en charge du Pôle Solidarité Famille avait confié ne pas avoir eu connaissance de cette fameuse liste de bénéficiaire.

Au final seules dix toitures ont été refaites.

Réquisition : coupable mais dispensé de peine

Dans ce dossier même s’il admet la situation difficile post Irma et la nécessité de venir en aide à a population la plus touchée, le procureur estime que l’infraction est matériellement caractérisée et reconnaît ainsi «sa culpabilité» de Daniel Gibbs. Toutefois il demande au tribunal de ne pas prononcer de peine.

Pour maître Petit, l’avocat de Daniel Gibbs, cette affaire doit interroger sur «les limites des élus à aller dans le soutien aux populations sinistrées». «Elu est un métier à risques aujourd’hui», conçoit-il tout en voulant faire admettre que parfois «le droit doit céder peu à la nécessité ».

Le jugement a été mis en délibéré au 24 février.

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Estelle Gasnet