Hôpital : la directrice explique le contexte et les enjeux de sa gestion
Marie-Antoinette Lampis, directrice d’hôpital depuis trente ans, a été nommée pour prendre la direction de l’hôpital Louis-Constant Fleming à Saint-Martin en 2020. Elle succède à une administration provisoire mise en place en 2019. Nous l’avons rencontrée afin de dresser un état des lieux de l’établissement.
Comment se passe la nomination d’une directrice d’hôpital ?
Nous sommes nommés par le centre national de gestion rattaché au ministère de la Santé. J’ai été nommée à la direction des centres hospitaliers de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy qui sont en direction commune. Le poste comprenait aussi la direction de l’Ehpad Bethany Home à Saint-Martin.
Connaissiez-vous Saint-Martin avant d’y être nommée ?
Oui je connaissais Saint-Martin depuis plus de vingt ans, c’était une réelle volonté de ma part de venir ici, je ne suis pas venue par hasard, c’était un projet professionnel.
Dans quel contexte avez-vous pris la direction de l’hôpital ?
Plutôt compliqué. A Saint-Martin la situation était jugée critique et dysfonctionnante par l’agence régionale de santé (ARS) en 2019 car l’hôpital rencontrait des difficultés financières. En conséquence, l’établissement a été placé sous administration provisoire en avril 2019 décrétée par le ministère. Deux administrateurs provisoires ont été nommés, c’est une mesure grave puisque les administrateurs sont normalement exonérés de tout un fonctionnement normal dans un hôpital. Ils peuvent prendre toutes les mesures nécessaires pour remettre l’hôpital d’aplomb, en d’autres termes l’administration provisoire, là, c’est un rouleau compresseur. Cela ne s’est pas passé comme ça à Saint-Martin où les administrateurs n’étaient présents qu’une semaine par mois, ils ont fait un état des lieux mais n’ont pas réussi à redresser la situation.
En 2019, il y avait aussi beaucoup d’articles dans la presse au sujet de l’hôpital. Il y avait un climat entre médecins assez détestable, ils réglaient leurs comptes par presse interposée. Ce climat était tellement tendu, qu’au mois de novembre il y a eu une tentative de suicide d’un infirmer au bloc opératoire. Cela s’est passé un mois avant mon arrivée, à la fin de l’administration provisoire.
Face à la situation de crise, l’ARS m’a fait part de son désir que je puisse prendre mon poste plus tôt, soit en janvier au lieu de mars. De plus, la crise du covid se profilait, pour rappel nous avons accueilli les premiers patients fin février.
Aviez-vous une feuille de route à suivre lorsque vous avez pris vos fonctions ?
Non, je n’avais pas vraiment de feuille de route écrite, j’avais juste un contexte avec un établissement pointé par d’importants dysfonctionnements. Ma feuille de route, c’était de remettre l’hôpital en état de marche, le gérer le mieux possible et lui donner des perspectives. Quand je parle de dysfonctionnement, c’était un certain nombre de choses qui n’allaient pas y compris dans la gestion du personnel ; des gens n’étaient pas forcément à leur place ou avaient des avantages indus. Il a donc fallu redresser tout cela.
Quels ont été vos premières missions ?
Gérer la crise sanitaire, mettre de l’ordre dans l’organisation médicale, stabiliser le personnel médical et développer des services nouveaux notamment celui de la chimiothérapie. Avant mon arrivée, les patients qui avaient besoin de faire des chimio devaient se rendre en Guadeloupe. Nous avons vu pendant la période du covid que c’était compliqué car il n’y avait que trois avions par semaine.
On a aussi vu qu’une partie des patients concernés a renoncé aux soins en raison de ces difficultés de déplacement. Très rapidement j’ai donc déposé à l’ARS un dossier d’autorisation de traitement du cancer, que nous avons obtenue. Nous avons construit une unité et avons pu démarrer l’activité en novembre 2021.
Quel est le problème avec les médecins de l’extérieur ?
Comme je le disais, il y avait un climat assez détestable dans l’hôpital en 2019, plus de la moitié des médecins étaient contractuels à l’année avec des contrats à durée déterminée renouvelés tous les six mois, certain médecins ne venaient que par intermittence selon leur spécialité. C’est un problème courant, même en France métropolitaine où il y a aussi une pénurie médicale dans certaines spécialités.
Il y a également les médecins intérimaires qui interviennent afin de pallier un manque de personnel ; cela génère des coûts (billet d’avion, logement, voiture de location). De plus, certains réclamaient des honoraires au-delà de ce qu’on peut imaginer. Souvent, nous sommes dépendants de ces médecins parce qu’ils nous imposent leurs disponibilités. Mais on ne peut pas faire autrement car nous n’avons pas les spécialités dont on a besoin comme c’est le cas ici en anesthésie ou en psychiatrie, des spécialités en tension partout d’ailleurs en France, et dans ce contexte ce n’est pas facile de faire fonctionner l’hôpital.
Le service anesthésie à Saint-Martin pose-t-il actuellement une difficulté ?
Oui, mais il s’agit d’une difficulté de niveau national avec un manque d’effectifs… Les médecins qui avaient des postes fixes démissionnaient pour aller faire de l’intérimaire parce qu’ils sont mieux payés. A Saint-Martin, depuis 2019, le service anesthésie ne fonctionnait qu’avec des intérimaires et ce n’était pas un mode de fonctionnement qui nous satisfaisait moi et d’autres médecins car cela coûte cher et nous ne pouvons pas discuter, travailler ou développer des projets avec ces médecins.
Dernièrement, ce service rencontre une discorde pouvez-vous nous éclairer ?
Tout cela a démarré avec deux médecins anesthésistes qui ont estimé, à tort, ne pas avoir été retenus. En début d’année, nous avons eu dix candidatures dont celles de ces deux médecins qui venaient régulièrement depuis deux ans en fonction de leurs vacances et des remplacements qu’ils faisaient ailleurs. Ce n’étaient pas des médecins inscrits dans la durée, or en début d’année, à la dernière minute, ils ont voulu rester sur le long terme.
Nous avions donc dix candidats. J’ai réuni le président de la commission médicale d’établissements qui est un médecin élu par la communauté médicale (CME), le vice-président de la CME, un chef de service de l’anesthésie chirurgie et un chef de pôle, soit quatre médecins. Nous avons étudié toutes les candidatures et avons décidé que ces deux médecins ne seraient pas sélectionnés, non pas en raison de leurs compétences professionnelles, mais de leur relationnel.
Les quatre médecins réunis ont interrogé la communauté médicale et la plupart de leurs collègues ont exprimé qu’ils ne souhaitaient pas que ces deux anesthésistes s’inscrivent sur le long terme et préféreraient d’autres candidats s’il y en avait.
Nous avons donc choisi quatre autres médecins. Ce sont des médecins qui s’installent définitivement sur l’île ou au moins pour faire un essai d’un an. Dans tous les cas, nous avons opté pour des contrats à long terme.
Pourquoi y-a-t-il eu un mécontentement ?
Je pense que les deux médecins non retenus devraient remettre en question leurs comportements et ainsi demander l’avis du personnel médical. D’ailleurs, ils ont envoyé beaucoup d’e-mails à leurs collègues sur le sujet. Cela a eu le don d’en agacer certains qui leur ont écrit en demandant d’arrêter de les harceler par mail.
Certains médecins titulaires ont fait le choix de se placer dans le statut d’intérimaire pour gagner plus d’argent, ils n’ont pas été retenus tout simplement, c’est le jeu. Vous savez, ça reste un recrutement. On postule et on n’est jamais sûr d’être retenu, c’est ce qui s’est passé avec eux. Ce sont de bons anesthésistes, mais leur comportement dans l’hôpital vis-à-vis de leurs collègues a été interrogé.
Des salaires attractifs, est-ce une nécessité pour intéresser des soignants intérimaires à Saint-Martin ?
A l’hôpital il y a des textes, une réglementation sauf pour les intérimaires qui font monter les enchères, alors j’ai fixé, dès le départ, des limites en disant voilà, il y a une réglementation y compris pour eux. J’ai toujours refusé de rentrer dans cette surenchère, alors évidemment ça a été compliqué parfois. Mais je ne trouve pas cela normal surtout vis-à-vis des autres médecins impliqués dans l’établissement et qui sont là à l’année.
Je reçois des e-mails de médecins qui demandent 2 500 euros par jour, plus le billet d’avion, plus la voiture, plus le logement. Une infirmière ne gagne pas ça. Je suis scandalisée. C’est ce que le Ségur de la santé a appelé le mercenariat médical. C’est ce qui s’était installé à Saint-Martin comme dans de nombreux hôpitaux en métropole. Il y a eu des intérimaires qui ont eu des prétentions sur l’île mais que nous n’avons pas gardés dès que nous avons eu des médecins stables.
Y-a-t-il une limite dans les frais octroyés aux médecins de l’extérieur ?
Oui, nous avons fixé des règles. Nous prenons en charge les frais pendant trois mois (billet d’avion, logement, voiture de location). On leur permet de s’installer puis ils doivent gérer au bout de ces trois mois.
Qu’est-ce que la loi Rist ?
Les intérimaires pourront toujours demander ce qu’ils veulent mais ils ne l’auront pas car à partir du 1er avril, cette nouvelle loi prévoit de plafonner le salaire des médecins intérimaires. J’en suis très heureuse car cela va stabiliser les choses.
Y a-t-il encore beaucoup de postes contractuels au sein de l’hôpital ?
Il y en a de moins en moins. En trois ans nous avons stabilisé la situation de sept médecins par la pérennisation de leur emploi et dix nouveaux médecins se sont installés sur l’île de façon permanente concrétisant notre volonté de réduire le recours à l’intérim médical. Il y aura donc de moins en moins de fluctuation à l’avenir y compris sur le personnel non médical.
Le 1er mars, un jury s’est réuni et a examiné le statut des contractuels qui étaient à l’hôpital depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, nous allons titulariser 40 personnes. Nous l’avons déjà fait en 2020 avec des infirmières, aides-soignants.
Notre priorité de recrutement est l’inscription des médecins dans la durée. Les compétences sont importantes, mais ce n’est pas tout. Lorsque nous travaillons à l’hôpital, il faut savoir travailler en équipe, partager les informations avec son équipe pour s’assurer que les patients soient bien pris en charge, participer à l’élaboration de projets sur le long terme etc.
Autour d’une cinquantaine de médecins sont titulaires de leurs poste, hors psychiatrie.
Quels services reste-il à stabiliser à l’hôpital de Saint-Martin ?
Nous avons justement des difficultés dans le service psychiatrique, il reste encore deux postes à combler. Nous avons également actuellement un vide en pédiatrie après le départ d’un pédiatre. En attendant, le poste est remplacé avant l’arrivée d’un nouveau titulaire en juillet.
Au service oncologie, il y a une seule oncologue. Nous sommes entrain de passer une convention avec le centre anticancéreux de Rennes pour disposer d’un relais lorsque notre oncologue n’est pas présente.
Nous avons des conventions avec le CHU de Guadeloupe et des médecins libéraux qui peuvent offrir des consultations de spécialistes non proposées sur l’île et qui vont aussi à Saint-Barthélemy.
Malgré la pénurie médicale connue dans toutes les spécialités sur les territoires français métropolitains et d’outre-mer, tous les postes vacants à Saint-Martin ont été remplacés.
Qu’en est-il du service psychiatrique ?
Nous avons un petit service de psychiatrie d’une capacité de douze lits, nous manquons vraiment de services en aval. La psychiatrie, présente un panel de prises en charge et à Saint-Martin nous avons seulement l’hospitalisation et le centre médico-psychologique. Entre les deux, nous n’avons rien.
Ainsi, depuis trois ans nous faisons une demande d’autorisation d’hôpital de jour en psychiatrie afin que les patients qui n’ont pas besoin d’être hospitalisés puissent être traités de jour par des professionnels. Je reçois aujourd’hui même cette autorisation et suis donc très heureuse pour les enfants et les adultes qui vont bénéficier de ce nouveau service. Nous allons pouvoir trouver des locaux, recruter du personnel et mettre en place cette nouvelle activité.
Le budget de l’Etat est-il suffisant pour les besoins de l’hôpital ?
Ce n’est jamais assez en matière de santé, on dit que la santé n’a pas de prix mais elle a un coût. L’hôpital a neuf sources de financement différentes, il est en déficit depuis toujours comme beaucoup d’autres dans l’Hexagone. Lorsque je suis arrivée, nous avions un déficit d’environ 5 millions d’euros par an et maintenant nous en sommes à peu près à la moitié. Quand j’ai pris mes fonctions, on ne m’a pas dit d’aller faire des économies mais de faire fonctionner cet hôpital. Je ne recherche pas l’économie mais l’efficience, c’est-à-dire à la meilleure façon d’utiliser les ressources disponibles.
Nous avons mis en place le service chimiothérapie, le premier sur lequel j’ai travaillé en parallèle du covid. Je suis allée déposer le dossier auprès de l’ARS et je leur ai dit que cette nouvelle activité entraînerait un déficit de 400 000 euros par an. Mais le budget n’a pas vraiment de sens, l’essentiel est de rendre un service à la population et d’être une organisation efficiente permettant de ne pas mettre l’établissement en difficulté. L’hôpital de Saint-Martin est très, très soutenu, nous avons beaucoup d’aide de l’Etat, des dotations. Les déficits sont systématiquement comblés.
Quel a été la plus grosse difficulté à résoudre depuis votre entrée en fonction à l'hôpital de Saint-Martin ?
La période covid, notamment pendant la variante Delta lorsque la Guadeloupe elle-même était saturée de patients. Saint-Martin ne dispose pas de service de réanimation et il a fallu improviser. Cela a été une période difficile et très douloureuse pour l’ensemble de hôpital, mais on s’en est plutôt bien sorti. Le moment de l’exclusion des soignants non vaccinés a été un moment très douloureux aussi en tant que directrice puisque j’applique une politique nationale. C’était d’autant plus difficile qu’en tant que fonctionnaire j’ai dû signer des décisions de suspension de personnel qui font partie de la famille hospitalière.
Quelles sont les perspectives pour l’hôpital ?
Sur les différents points que je viens d’évoquer dans la dynamique d’améliorer l’organisation et les besoins de l’hôpital, un dossier a été déposé auprès de l’ARS dans le cadre du Ségur de la santé, le centre hospitalier Louis-Constant Fleming s’est lancé dans un important projet de restructuration. Avec le soutien de la Collectivité et de l’Etat, un nouveau bâtiment regroupant l’accueil, les services administratifs et l’ensemble des consultations externes va sortir de terre pour un montant de 9,5 M€. La place libérée par ces services permettra d’accueillir dans l’enceinte de l’hôpital, en collaboration avec nos partenaires privés, un laboratoire de biologie et une imagerie de coupe-scanner afin que les urgentistes aient tout sur place. La livraison de la première phase est prévue pour le printemps 2024.
Cette deuxième phase rendra également possible l’installation de lits de soins critiques, qui nous ont cruellement fait défaut pendant la période du covid, (nous en avions seulement deux), la création d’une salle de bloc opératoire supplémentaire et la réorganisation des lits et services d’hospitalisation, l’hôpital de jour en psychiatrie. Cette seconde phase est chiffrée à 12 M€. Au total avec les équipements, ce sont près de 28 M€ qui seront investis en cinq ans pour conforter et développer l’hôpital.
Comment gérez-vous cette période actuelle ?
L’hôpital est un milieu complexe avec des personnes vulnérables et cela demande pour l’ensemble du personnel médical et para-médical de travailler dans un environnement serein et calme et de ne pas être mobilisées pour se défendre face à des attaques que je considère injustes et infondées. A aucun moment les personnes qui portent des accusations sur ma direction ou sur le fonctionnement de l’hôpital ne m’ont téléphoné ou rendu visite pour me demander ce qui se passait, s’il y avait des difficultés etc. Aucune des personnes qui se sont exprimées dans la presse ou la radio n’est venue me demander des comptes. Ma porte est toujours ouverte et je reçois tout le monde.
Cette situation préoccupe-t-elle l’équipe médicale ?
Oui, le personnel est particulièrement préoccupé par la situation d’autant plus que la prochaine certification de l’hôpital par la haute autorité de santé, est prévue en mai 2023. La certification qui a lieu tous les cinq ans permet de vérifier que les procédures qualité ont été correctement appliquées. Il s’agit d’une validation, pas d’une autorisation de fonctionnement de l’hôpital. Les professionnels s’interrogent parce que nous avons besoin d’être attractifs pour attirer, des médecins et les autres professionnels nécessaires au fonctionnement.
Dans ce contexte, envisagez-vous de rester à la direction ? Quel est votre état d’esprit ?
Oui, je me sens légitime de rester. Mais, j’espère que les choses s’apaiseront afin que je puisse continuer ma mission correctement. Je n’ai pas de fin de mission, c’est moi qui décide quand je pars. Si on ne veut pas de moi qu’on le dise concrètement. Mais je pense que mon travail avec tous les médecins et partenaires hospitaliers que je fais ici depuis trois ans est très positif par rapport à la situation de 2019.
L’hôpital de Saint-Martin fonctionne normalement et de mieux en mieux avec de bons professionnels. Nous, l’ensemble de la communauté hospitalière, avons des projets et notre seul objectif est de répondre au besoin de la population et de les rassurer.
La chose que l’on peut me reprocher est de ne pas assez communiquer sur ce qui se passe à l’hôpital mais ça ne veut pas dire que rien ne se fait, bien au contraire.