Abolition de l’esclavage : 175 ans après, le devoir de mémoire continue
Il y a 175 ans, le 28 mai 1848, l’esclavage était aboli à Saint-Martin. Cette période peut sembler lointaine mais certains diront «c’était hier». Comme chaque année la Collectivité de Saint-Martin organise une cérémonie commémorative officielle, celle-ci a eu lieu dimanche dernier au rond-point Lady Liberty à Agrément.
L’abolition de l’esclavage marque la fin «d’une pratique brutale et inhumaine qui a existé pendant des siècles», soutient Dominique Louisy, vice-présidente de la COM lors de son allocution. «On peut se demander comment des êtres humains ont pu froidement penser que d’autres humains leur étaient inférieurs sous prétexte qu’ils n’avaient pas la même couleur de peau et pouvaient de ce fait devenir leurs esclaves. On pourrait croire que cette façon de penser est révolue cependant il n’en est rien et l’actualité nous le rappelle souvent, trop souvent», poursuit-elle.
Selon elle, l’abolition a entrainé des conséquences économiques sociales et culturelles indéniables, avec un impact économique majeur dans les colonies antillaises car «l’esclavage était le pilier de l’économie basée sur la production du sel, du sucre, entre autres».
«Les conséquences culturelles de l’abolition ont fait de nous ce que nous sommes, un peuple aux cultures multiples et riches. Nos traditions, nos langues, nos musiques et nos religions ont survécu et sont transmises de génération en génération formant une part importante de notre héritage culturel. Ce qui montre que de l’horreur peut naitre quelque chose de beau», convient-elle. «La quête pour une société juste et égalitaire se poursuit», commente-t-elle. «C’est ainsi que chaque année, nous avons le devoir de commémorer l’abolition de l’esclavage, cet instant décisif reste un moment clé gravé dans l’histoire de la lutte pour les droits de l’homme et la dignité humaine», affirme la vice-présidente.
L’histoire de l'abolition de l’esclavage est toute particulière à Saint-Martin. «Comparativement aux autres colonies de la France, nous avons connu non pas qu’une, ni deux, ni trois mais quatre abolitions successives», déclare Frantz Gumbs, député des îles du nord. «Nous avons connu celle de la France en 1794, décrétée suite à la révolution française de 1789, nous avons connu par ricochet celle de l’Angleterre en 1833. La troisième en 1848, 15 ans après celle de l’Angleterre. Puis la dernière abolition que nous avons connue est celle dans les colonies néerlandaises dans la partie sud de l’île, Sint Maarten en 1863 », rappelle-t-il. «Ce que nous sommes est le résultat de ce qui s’est passé dans nos passés et j’ajoute ce que nous serons, dépend de ce que nous ferons, de ce que nous sommes aujourd’hui», convient-il.
Pour Vincent Berton, préfet délégué des îles du nord, ces actes et temps de commémoration n’ont jamais été vains et ils sont indispensables. «Aujourd’hui encore, ces moments et ces mots ne vivent pas figés dans le temps comme un souvenir traumatique, mais favorisent plutôt à alimenter un processus de mémoire populaire», admet-il. Il a notamment rappelé la loi dite Taubira de 2001, «la France étant le premier pays au monde à reconnaitre que la traite transatlantique et l’esclavage constituent un crime de l’humanité».
Enfin pour Louis Mussington, président de la Collectivité, « la période de l’esclavage a été une de ces périodes durant laquelle, celles et ceux qui avaient été mis en esclavage, dont l’objectif principal, était de les déposséder de toute humanité. Cela a duré pendant plusieurs siècles mais les souffrances n’ont pas eu raison d’eux». Notamment en faisant écho à Toussaint Louverture.
«Celui qui fut le premier des grands libérateurs noirs de l’histoire des colonies. Officier de l’armée républicaine française à Saint-Domingue, porte-parole de la cause noire, leader messianique, son aura et ses luttes ont animé la plupart des mouvements émancipateurs ».
À l’occasion du 175ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage en France en avril dernier, le président y était en déplacement. Il s’est rendu au Château de Joux, où Toussaint L’ouverture était emprisonné. Un moment fort en émotion qu’il avait vécue.
Selon lui, c’était un homme de lumière qui n’a jamais cessé de briller, même lorsqu’il était enfermé : «né esclave, il s’est battu pour son affranchissement et a dédié sa vie entière à la lutte contre l’oppression des chaînes et la violence coloniale. Alors, honorons son héritage, reconnaissons le dévouement de cet inlassable combattant de la lutte pour la liberté».
Après la traditionnelle commémoration, la Collectivité a organisé pour la première fois un spectacle culturel à Friar’s Bay, le public a répondu présent. Ils étaient plusieurs centaines venus assister à cette représentation «Sailing to Freedom». «Nous avons décidé de faire une promenade au travers de notre histoire, nous permettons de revivre, d’apprendre, et surtout d’honorer ceux qui ont tracé le chemin pour nous», indique Valérie Damaseau, présidente de la commission culture à la collectivité.
Dans le « rapport sur le patronage des esclaves dans la colonie de Saint-Martin, les juges inspectant les habitations sucrières de notre territoire indiquent que certains esclaves, lassés d’attendre le vote du décret d’abolition de l’esclavage au parlement français, se rendaient de nuit sur le littoral de la côte Nord de l’île pour voler des embarcations et naviguer jusqu’à l’île d’Anguille où les esclaves furent affranchis 15 ans avant ceux des colonies françaises», raconte-t-elle.
À travers ces acteurs, danseurs, musiciens inspirés de documents d’archives authentiques décrivant les évasions organisées par les personnes mises en esclavage sur les plantations de Saint-Martin, « ils rendent hommage à ces hommes et ces femmes qui n’ont pas attendu le bon vouloir des députés de l’Assemblée nationale pour se battre et conquérir leur liberté au péril de leur vie ». Le script du spectacle a été réfléchi par Christophe Henocq, chargé de mission archéologie et scientifique, rédigée par Stéphie Gumbs, passionnée d’archives et d’histoire et mise en scène par « Great théâtre » sous la coordination de Mélissa Fleming.
Il y avait du chant, du théâtre, de la danse traditionnelle et contemporaine, des tableaux forts en émotion qui ont clôturé dignement la journée du 175ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage à Saint-Martin. Le final du spectacle était signé par l’artiste et chorégraphe Peggy Oulerich, avec ses danseurs contemporains ils ont offert "un tableau juste humain".