13.06.2023

Les victimes du système prostitutionnel

Jeudi dernier, Farah Viotty, directrice des établissements Croix-Rouge des îles du nord, organisait une journée d’information sur l’accompagnement des victimes du système prostitutionnel en collaboration avec la délégation de l’association Mouvement du Nid (MDN) de Martinique.

Après que la Croix-Rouge de Guadeloupe a reçu l’agrément du «parcours de sortie de prostitution», avec le MDN, les deux associations ont planifié un programme dans le cadre d’une session de formation «victimes du système prostitutionnel : connaître pour mieux accompagner». Les équipes de la Croix-Rouge de Saint-Martin ont pu bénéficier de trois jours de formation sur le sujet. Plusieurs acteurs associatifs, médico-sociaux, institutionnels (brigade de la gendarmerie de la maison de protection des familles, infirmières, CAF, Le Manteau, assistante sociale, Education nationale, France Victimes, Cobraced, etc) étaient présents pour échanger sur la thématique.

Parce que le mot prostitution renvoie souvent à la seule personne prostituée, l’association nationale Mouvement du Nid (MDN)  parle plutôt de «système prostituteur», système qui organise l’achat et la vente de l’usage du corps et de la sexualité d’autrui.

Qu’est-ce que le système prostitutionnel ? Le système prostitutionnel est un système de domination et d’exploitation de personnes humaines, en grande majorité des femmes et des enfants, dans lequel des hommes, les « clients » prostituteurs, sont les agresseurs, s’arrogent un droit à l’accès sexuel, à leur corps en échange d’une rémunération. Face à la demande de ces prostituteurs, des proxénètes et trafiquants d’êtres humains organisent l’exploitation des victimes pour en tirer profit.

Le Mouvement du Nid, témoins des réalités quotidiennes de la prostitution, dépositaire des témoignages et récits de vie de milliers de personnes prostituées, est «convaincu que le système prostituteur est un obstacle majeur à l’égalité femmes et hommes, une violence en soi et une atteinte à l’intégrité et à la dignité de la personne humaine ».

Le Mouvement du Nid milite pour l’abolition du système prostituteur et pour une société libérée de l’exploitation marchande de la sexualité. C’est également un réseau de partenaires pour les accompagner dans leurs démarches d'accès à la justice, aux soins, à la sécurité sociale ou pour entamer un parcours de sortie de la prostitution.

30 000 à 50 000 personnes sont victimes de la prostitution en France. Parmi elles, au moins 10 000 sont des personnes mineures. En 2016, la France faisait le choix nécessaire de mettre fin à la violence machiste que constitue la prostitution. « Pour cela, une loi juste et courageuse a été adoptée le 13 avril 2016, prévoyant la dépénalisation des personnes prostituées (à 80 % des femmes et à 90 % d’origine étrangère), la mise en place de parcours de sortie de prostitution, d’actions de prévention, et l’interdiction de l’achat d’actes sexuels (commis à 99 % par des hommes). Cette victoire historique appuie notre action pour contribuer au recul de la prostitution par la réduction de la demande, par la prévention et le développement d’alternatives réelles et durables permettant une sortie de prostitution », déclare l’association MDN.

Dès le début de la matinée de jeudi, la délégation du MDN a invité le public à répondre à une question avec le premier mot qui leur vient à l’esprit lorsqu’ils entendent le mot « prostitution ». Violence, Précarité, Contrainte ont été les trois premiers mots fort lancés.

Plusieurs points ont été abordés lors de cette session d’information tels que la prostitution des mineurs, la prostitution qui a pris de l’ampleur avec l’arrivée des réseaux sociaux, l’immigration et les prostitués, les facteurs qui conduisent à la prostitution etc. En Martinique, la plupart des prostituées sont des immigrées provenant de la République Dominicaine, du Venezuela, d’Haïti, de Colombie, du Brésil et de Saint-Christophe-et-Niévès », indique Lavinia Ruscigni, membre de la délégation MDN de Martinique.

D’après le sociologue Lilian Mathieu, la prostitution est une zone de «vulnérabilité sociale». Selon lui, «s’engager dans une activité aussi stigmatisée que la sexualité vénale n’est jamais l’aboutissement d’un choix volontaire et délibéré, mais toujours le fruit d’une contrainte ou, au mieux, une forme d’adaptation à une situation marquée par la détresse, le manque ou la violence », développe-t-il dans Nouvelles questions féministes.

À Saint-Martin, il n’y a pas de chiffre estimé sur la prostitution, ce qui est significatif et constitue une donnée par le fait que la prostitution soit totalement invisibilisée. Il y a également la particularité de cette île qui, partagée avec un autre État, un autre système qui reconnait la prostitution comme un travail alors que la France la reconnait comme une violence», commente Lavinia Ruscigni, membre du mouvement du nid en Martinique.

«Depuis quelques mois nous travaillons avec l’association MDN.La prostitution est un sujet assez large dont on ne parle pas très souvent à Saint-Martin. Nous avons cette image que la prostitution c’est de l’autre côté », confie Farah Viotty. « La Croix-Rouge de Saint-Marin dans ses actions a été amenée à travailler avec des personnes victimes de prostitution, plutôt adultes, typiquement dans la grande précarité avec des proxénètes autour. Ces actions de sensibilisation, de formation et d’interpellation des pouvoirs publics c’est rendre visible ce système », poursuit-elle.

Les violences à l’égard des femmes est l’une des problématiques sur laquelle Farah Viotty milite. Dans ce sens, «nous avons le désir d’évoluer dans les actions de la Croix-Rouge vers ce type de dispositifs également à Saint-Martin pour la prise en charge et l’accompagnement de ces victimes », indique-t-elle.

« En 2017, le mouvement #metoo a renforcé la prise de conscience de notre société, qu’il ne pouvait y avoir d’égalité entre les femmes et les hommes et de véritable liberté sexuelle tant que les hommes continueront d’infliger des violences sexistes et sexuelles aux femmes et aux filles. Or, la prostitution sous toutes ses formes, y compris filmée, est une violence des plus extrêmes. Sexiste, raciste, florissant sur le terreau de la misère et des violences intrafamiliales, elle est à l’intersection de toutes les oppressions. Les nombreux témoignages des survivantes de la prostitution le démontrent : il n’y a pas de liberté ni de consentement réel dès lors que l’acte sexuel est imposé par l’argent » affirme Le Mouvement du Nid.

Siya TOURE