10.10.2024

Sur les traces des tortues marines

Mardi 8 octobre, nous avons suivi l’équipe de la réserve naturelle de Saint-Martin afin d’observer les traces des tortues marines et ainsi évaluer le degré de certitude de l’activité de ponte.

Il est aux alentours de 14 heures quand le bateau de la réserve nationale s’arrête aux abords de Tintamare. Situé à une quinzaine de minutes de Cul-de-Sac, il s’agit du plus grand des îlets des 3060 hectares de la réserve. Si la couleur bleu turquoise de l’eau pourrait être une invitation à la baignade, la mission du jour de Julien Chalifour, responsable scientifique et directeur adjoint de la réserve est toute autre.

Dès le pied posé sur la plage de Baie Blanche, l’homme scrute le sable à la recherche de traces démontrant le passage de tortues marines. Une recherche d’indices qui a pour but de «faire savoir si elles continuent de fréquenter les plages la réserve ainsi que celles en dehors (côté français) et si elles arrivent à y pondre» explique le scientifique. «Notre objectif est de contribuer à leur protection. À Saint-Martin, le mieux que l’on puisse faire, c’est préserver leurs habitats d’alimentations que sont les récifs coralliens et les herbiers, ainsi que les sites de ponte, c’est-à-dire les plages. Est considérée comme tel, toute plage où historiquement il y a eu enregistrement d’une ponte avérée». Pour se délester de leurs œufs durant la période de mars à octobre, ces reptiles migrateurs, qui se reproduisent tous les deux à trois ans, ont besoin de zones de quiétudes. Les conditions idéales ? Une plage déserte, avec de la végétation, sans lumière, sans bruit et sans invité indésirable comme l’homme, le chien ou même le rat.

Trois espèces de tortues pondent à Saint-Martin

Après quelques minutes, les premières traces sont déjà visibles. Avec plus de dix ans d’expérience, Julien Chalifour n’a aucun mal à identifier l’espèce : «il s’agit d’une tortue imbriquée». Il existe sept espèces de tortues marines dans le monde dont cinq sont visibles à Saint-Martin : la tortue imbriquée, la verte, la luth, la caouanne et l’olivâtre. Parmi celles-ci, les trois premières pondent sur le territoire alors que les deux autres sont simplement en transit. «Ce sont donc les indices du passage de ces trois espèces-là que nous cherchons. La largeur et l’asymétrie des marques de pattes nous permettent de savoir de quelle espèce il s’agit. Dans ce cas, c’est bien la tortue imbriquée qui est identifiée, avec une trace d’environ cinquante centimètres de largueur. Contrairement à celle de ses deux cousines, sa petite taille lui permet d’avancer avec une seule patte à la fois, ce qui explique l’asymétrie des marques, mais aussi de pondre dans la végétation des plages.

En plus de la race, des données comme l’estimation du degré de certitude de l’activité de ponte et la fraîcheur des traces sont nécessaires. Pour cela : «on va chercher à savoir dans quel sens elle se déplace. Les traces qui m’intéressent sont celles du retour à la mer puisque dès qu’elle a pondu, la tortue retourne à l’eau. En les remontant à contre-sens, le premier nid que je vais trouver est sûrement celui qui contient les œufs».

Pour la ponte de cette tortue imbriquée, quatre tentatives à différents endroits auront été nécessaires, avec un niveau de certitude estimé à 90%. «On ne peut jamais être sûr à 100% puisqu’il faudrait être présent lors de la ponte. Il est interdit de vérifier car la tortue est une espèce protégée et cela troublerait l’incubation» rappelle le directeur adjoint de la réserve.

En ce qui concerne la datation, il l’affirme : «les traces sont de la nuit dernière. On voit encore le passage de la queue et les bords forment des grumeaux. Si c’était moins récent, le vent et le passage des gens auraient lissé le tout et on aurait perdu des détails». À la fin de son analyse, Julien Chalifour prend les coordonnées GPS du nid et marque la zone d’une croix sur le sable pour éviter le double comptage. Si ponte il y a réellement eu, les petits verront le jour dans un mois et demi.

Des éco-volontaires en renfort

Pour suivre la ponte des tortues, la réserve naturelle à mis en place, sur l’ensemble des plages du territoire, un protocole standardisé qui consiste à deux passages minimums sur les plages par semaine, intercalés d’un jour entre les deux. «Pour cela, on forme des éco-volontaires en leur expliquant comment faire une patrouille. On leur demande un aller/retour sur les plages. Un aller en bas de plage pour chercher le retour à la mer et un retour en haut de plage pour avoir plus de chance de localiser les nids.

Par la suite, les données récoltées seront partagées au niveau régional avec le réseau Antilles françaises (piloté par la DEAL), au niveau national et même au niveau international avec des réseaux qui travaillent pour la conservation globale des tortues marines. Cette transmission permet d’avoir une classification des zones fréquentées, de faire ressortir les tendances des populations et ainsi faire des modélisations de ce qui se passe au niveau mondial pour cet animal protégé.

Ce jour-là, deux traces supplémentaires de tortues imbriquées seront identifiées. La première sur la plage de Baie Blanche avec une certitude de ponte estimée à 90% et une seconde, de l’autre côté de l’île, sur la plage du Lagon, où la ponte n’a sûrement pas eu lieu.

Cyrile POCREAU