23.07.2025

Nature Valley, les petites histoires de grandes traditions à Colombier

Quand on s’aventure sur la route de Colombier, entre collines verdoyantes et arbres fruitiers, on sent tout de suite que quelque chose de spécial s’y passe. C’est ici, sur le perron du centre socio-culturel, que Vernicia Brooks veille. Colombier, « c’est son hameau », elle ne l’a jamais vraiment quitté, sauf pour ses études. Une chose est sûre, elle « ne pourrait vivre à aucun autre endroit qu’ici », confie-t-elle avec assurance. Alors, comme témoin de son amour pour ce lieu qui l’a vu grandir, elle a fondé Nature Valley, une association qui a pour mission la préservation et la valorisation du patrimoine naturel et culturel de Saint-Martin.

L’histoire de Nature Valley débute il y a vingt ans, lors de la « Semaine du tourisme ». L’idée était simple : chaque quartier devait présenter sa culture, ses traditions et ses particuliarités locales. À Colombier, les habitants avaient répondu présents avec beaucoup d’enthousiasme. « On s’est rendu compte qu’on avait plein de choses à partager avec le reste de l’île ! » se souvient Vernicia. Un moment d’effervescence qui a été le point de départ de « cette grande aventure ».

Parmi les premières activités de l’association figurait la mise en valeur du dictame, autrefois cultivée à Colombier. Également appelée arrow-root en anglais, il s’agit d’une racine de la famille du gingembre qui une fois écrasée donne une farine fine, sans gluten, parfaite pour les bébés ou les personnes intolérantes. « À l’époque, tout le monde en avait dans son jardin. Mais au fil des années, seulement deux ou trois propriétaires en cultivaient encore. On a voulu relancer cette tradition » explique Vernicia.

C’est ainsi qu’est né l’arrow-root jollification. « De 2004 à 2017, entre janvier et mars, les familles se retrouvaient dès 5h du matin pour récolter les racines, les nettoyer, les piler et les transformer en farine. L’année d’après elle était utilisée pour nos activités » explique la présidente. Malheureusement, après le passage de l’ouragan Irma, le champ de dictame a été détruit. Mais l’envie, elle, est restée : quelques plants ont été partagés avec d'autres associations et grâce à cette entraide, la tradition a pu reprendre, même à plus petite échelle.

Pendant deux décennies, l’association a multiplié les idées pour faire vivre les coutumes locales. Parmi elles, le festival du guavaberry organisé pendant deux ans, qui a permis de faire redécouvrir aux visiteurs cette plante typique de Saint-Martin, dont est fait le fameux punch, mais aussi les confitures et tartes. Il y a eu des marches et aussi des pièces de théâtre, jouées en plein air, sous les manguiers, avec des danses, des chants et « beaucoup de rires ».

Et si une activité a su traverser les années sans perdre de sa popularité, c’est bien l’atelier de Johnny Cake, ce petit pain frit emblématique de l’île. Après Irma, alors que le pain se faisait rare et que les files d’attente s’allongeaient devant les boulangeries, Vernicia et d'autres habitants ont commencé à en préparer chez eux pour leurs voisins. « On s’est dit qu’il fallait apprendre aux gens à les faire eux-mêmes. C’est simple, c’est bon, et ça fait partie de notre culture ». Résultat : dès le premier atelier, plus de 40 personnes se sont pressées au centre culturel. « Il y avait de toutes les nationalités. On a vu qu’il y avait un vrai besoin » ajoute-t-elle.

Aujourd’hui ces ateliers sont toujours aussi appréciés même s’ils se font un peu plus rares. « À l’époque, on était une bonne quinzaine dans l’association. Aujourd’hui, on est moins nombreux. Les gens ont vieilli, certains sont partis. Être dans une association, c’est du bénévolat. C’est donner de son temps et malheureusement, cette valeur se perd. Mais tant qu’on aime ce qu’on fait, on continue » assure la présidente. Alors, même si Colombier a aussi bien changé et que la vie moderne a empiété sur la culture, grâce à Vernicia et à son équipe, l’esprit du hameau résiste. « Si je partais demain, certaines traditions disparaîtraient avec moi. C’est pour ça qu’un jour, j’écrirai un livre… » promet la sexagénaire. En attendant ce livre, l’histoire de Nature Valley continue de s’écrire avec sa fondatrice médaillée de bronze pour la jeunesse, les sports et l’engagement associatif par le préfet, lors de la cérémonie du 14 juillet.

Cyrile POCREAU