06.04.2016

Le « papa blanc » du bâtiment

Christian Steiner forme depuis seize ans d'anciens délinquants aux métiers du bâtiment.

«J’habite ici depuis seize ans mais je n’ai toujours pas perdu mon accent» confie Christian Steiner dont la langue a les inflexions de la Lorraine. Tailleur de pierre chez les Compagnons, et spécialiste de la restauration de bâtiments anciens, il est arrivé à Saint-Martin dans les années 2000. En métropole, il travaillait sur des chantiers prestigieux et faisait déjà de l’insertion. Une compétence qu’on lui a d’emblée demandé d’appliquer ici. Il a donc créé l’association AIDES (Association d’Insertion et de Développement de Saint-Martin) - dont il a depuis quitté la présidence, ainsi qu’une entreprise de travaux publics.

«Je voulais travailler avec des jeunes en difficulté». Il en a d’abord embauché trois pour restaurer l’ancienne chapelle derrière l’église catholique de Marigot. «Le premier jour ils étaient tous en retard. Mais le lendemain, quand ils ont vu ce qu’on allait faire, ils étaient là avant moi» se souvient-il.

Four à pain, accès au fort et poudrière, vieille cheminée de la sucrerie, ancienne prison… l’entreprise a déjà rénové une partie du patrimoine saint-martinois. «Mais cela ne suffisait pas». Pour pouvoir former les jeunes, il fallait plus de chantiers. Il s’est donc dirigé vers le BTP et travaille désormais pour plusieurs bailleurs sociaux tels que la Semsamar, la SIG, la Sicoa ainsi que pour la COM (glissières de sécurité en bois). «On ne fait pas de concurrence aux entreprises privées». L’idée est plutôt d’y placer les jeunes, une fois qu’ils sont formés.

"MIEUX QUE PÔLE EMPLOI"

En général, Christian Steiner n’en prend que trois ou quatre à la fois. Ils restent plusieurs mois et sont rémunérés en chèques emplois services. «S’ils travaillent bien, je leur donne ensuite la chance de créer leur micro-entreprise». Il leur confie des chantiers en sous-traitance et supervise les travaux. Depuis les années 2000, au moins 80 jeunes ont ainsi pu trouver un emploi. «C’est mieux que Pôle Emploi» ironise-t-il.

François a commencé comme stagiaire dans l’entreprise. Il se remémore : «avant, je faisais n’importe quoi. Christian m’a recadré.». Il possède aujourd’hui sa micro-entreprise mais son ancien patron n’est jamais loin. Comme la plupart n’ont pas le permis, il les accompagne sur les chantiers, et se fait l’inspecteur des travaux finis.

Selon lui, une association d’insertion ne peut pas fonctionner qu’avec des subventions mais devraient toutes être associées à une entreprise. «Il y en a trop ici. Après les gamins qui en sortent ne trouvent rien. Ils ne vont pas couper de l’herbe toute leur vie». Lui, ne touche aucune aide. Il place les jeunes directement avec les professionnels.

Pour trouver de la main d’œuvre ponctuelle, Christian Steiner a un procédé bien à lui. A chaque fois qu’il doit intervenir dans un endroit, il embauche les jeunes désoeuvrés du quartier. Si bien que sa réputation le précède. Il est connu dans tous les quartiers comme le «papa blanc». «On dit souvent que les jeunes ne veulent rien faire mais c’est faux. Ils me demandent tous du travail.»  Les installations durent ainsi plus longtemps. Les jeunes veillent à ce que leurs travaux ne soient pas saccagés.

"LA MOITIE DE MON TRAVAIL C'EST DU SOCIAL"

Passer de la rénovation de bâtiments anciens au BTP représente un sacrifice. Mais Christian Steiner n’a aucun regret : «je l’ai fait pour eux». Quand il n’est pas sur un chantier il est toujours à son bureau, à Galisbay, même les samedi et dimanche. Il n’y a pas vraiment de frontière entre ses vies professionnelle et personnelle. «La moitié de mon travail, c’est du social» affirme-t-il. Qu’ils aient trouvé un boulot ou qu’ils travaillent toujours pour lui, ils viennent toujours lui raconter leur vie, lui demander de l’aide pour remplir des dossiers. «Comme je suis étranger à l'île je suis neutre. Ils préfèrent souvent être avec moi plutôt que leurs cousins».

Beaucoup de ces jeunes sont d’anciens délinquants. Christian travaille avec la PJJ et le pénitencier de Guadeloupe. Certains prisonniers lui écrivent directement de leur cellule pour lui demander un emploi. Malgré leurs parcours quelque peu chaotiques, Christian n’a jamais craint pour sa sécurité. Ils lui sont tous très reconnaissants. Le parcours d’insertion n’est pas toujours linéaire et certains repartent effectuer des séjours en prison même après avoir travaillé pour lui. Mais il ne leur en tient jamais rigueur et évoque avec pudeur et humour leurs « vacances en Guadeloupe » tout en leur laissant une seconde chance. Christian Steiner a encore beaucoup de projets. Il aimerait créer une école de taille de pierre et de restauration du patrimoine. Il rêve aussi qu’un jour les jeunes qu’il a formés reprennent son entreprise et transmettent leur savoir-faire à d’autres : «J’aimerais qu’ils prennent en main leur propre patrimoine».

Fanny Fontan
1 commentaire

Commentaires

Bjr Avez vous vécu dans le dépôt 42
Dans les années 70
Bravo à vous pour votre parcours