Comment les voitures volées sont maquillées pour être revendues

«Le trafic de voitures est un véritable problème à Saint-Martin». «Le nombre de voitures volées sur le territoire est un phénomène préoccupant». Ces deux déclarations ont été prononcées à quatre années d’intervalle. Par deux personnes différentes qui ne se sont pas côtoyées sur l’île. La première en 2014 par le préfet Gilles Leclair nommé par le gouvernement de l’époque afin de lutter contre la délinquance en hausse en Guadeloupe et à Saint-Martin. La seconde en 2018 par le lieutenant-colonel Sébastien Manzoni en charge du commandement de la compagnie de gendarmerie à Saint-Martin.

Début 2020, le nouveau chef d'escadron, Sébastien Basso, publie encore un communiqué de presse concernant le phénomène des vols de véhicules et les règles de prudence à observer lors de l'acquisition d'un véhicule d'occasion.

Six ans ont passé et, visiblement, la situation demeure identique dans ce domaine. Elle s’est même amplifiée depuis le passage de l’ouragan Irma. En 2018, les autorités estimaient à une dizaine de véhicules volés par semaine en partie française. En 2019, 480 voitures ont été déclarées volées en partie française selon les chiffres de la gendarmerie, soit 1,3 vol par jour.

Côté hollandais, la police de Sint Maarten admettait en 2018 qu’il s’agissait aussi «d’un phénomène préoccupant mais [elle] n’était pas en mesure de donner de chiffres exacts». Fin 2019, le parquet de Sint Maarten a indiqué avoir traité 141 affaires de vols de voiture.

A la fin de sa mission en 2014, le préfet Leclair était confiant. «La prochaine loi autorisant l’accord de coopération policière entre les deux parties de l’île permettra de renforcer les moyens d’enquête à l’échelle de l’île». Ladite loi est en entrée en vigueur suite au décret du 15 octobre 2015 mais les moyens n’ont pas été renforcés pour lutter contre les vols et les trafics de voiture.

Le système de Sint Maarten est pointé du doigt pour certaines défaillances. «Nous n’avons pas de statistiques ou d’informations permettant de dire que les voitures volées sont revendues en partie hollandaise car cela y est plus facile», déclare la police de Sint Maarten. En tout état de cause, la démarche de rédiger un «bill of sale» et de le présenter aux autorités à Philipsburg présente davantage de souplesse que de remplir un formulaire Cerfa côté français.

Au bureau des immatriculations à Sint Maarten, les informations concernant les véhicules, notamment les numéros de série, ne sont pas assez suffisamment et/ou correctement vérifiées lors d’une demande de nouvelle immatriculation. Plusieurs dizaines d’affaires récentes le prouvent : des personnes de la partie française ont retrouvé leur voiture qui avait été volée, en circulation avec des plaques hollandaises.

Le système de transfert des véhicules est simple et bien connu : la personne repeint la voiture, efface le numéro de série puis fait immatriculer la voiture à Sint Maarten et trouve un acquéreur à qui elle fournit des papiers dont le fameux «bill of sale» dont la rédaction est beaucoup moins réglementée que le formulaire de cession en France.

Le maquillage des véhicules volés est de plus en plus astucieux et efficace. Au lieu de simplement limer le numéro original de la voiture, il est collé un autre numéro de série. Et pour ne pas éveiller les soupçons si l’acquéreur veut vérifier, le numéro est écrit dans le même corps de caractère que l’original. Au même format. Parfois il s'agit même d'un numéro de série d'un véhicule de marque et modèle identiques qui n'est plus en circulation sur l'île. Le maquillage passera d’autant moins inaperçu si la voiture avec sa «nouvelle identité» est immatriculée sans vérification de la part des agents en charge de le faire.

En 2018, une centaine de cas de vols de véhicules ainsi transformés et retrouvés a été enregistrée par la gendarmerie. Côté hollandais, la police affirme n’avoir traité que «très peu de cas». «Nous essayons de sensibiliser sur ce sujet les personnes qui achètent une voiture d’occasion», précise la police de Sint Maarten. Et d’ajouter : «toutes les voitures à l’export sont minutieusement contrôlées par le service de police et tous les documents sont tamponnés avant qu’elles puissent être expédiées hors de l'île.»

Côté français, reconnaître une voiture volée est quasiment impossible si elle est immatriculée à Sint Maarten, sauf si l'acquéreur est très vigilant et chanceux. Par exemple, quelquefois il peut arriver que certaines parties de la voiture n'ont pas été repeintes, comme celles sous les joints en caoutchouc des portières, en les soulevant, si on constate que la couleur (d'origine) est différente de l'actuelle, les risques que le véhicule ait été maquillé sont grands.

Si une personne venant d’acheter une voiture avec des plaques hollandaises, se rend avec les papiers au service carte grise de la COM, les agents n’y verront que du feu. Sauf si ces derniers, de leur propre initiative, contrôlent eux-mêmes le véhicule (vérification de la peinture, de l’étiquette du numéro de série, etc.). Il n’existe aucune directive imposant le contrôle d’une voiture immatriculée en partie hollandaise par une personne assermentée, lors de sa ré-immatriculation côté français. Les moyens pour le vérifier ne sont accordés qu’aux gendarmes.

Pour mieux lutter contre les trafics et les vols, il faudrait que les systèmes d’immatriculation soient plus performants et que les autorités des deux côtés de l’île coopèrent, s’échangent les informations dans ce domaine. La lutte contre les garages clandestins déjà menée en partie française pourrait être étendue à l’échelle de l’île et partagée avec la police de Sint Maarten. Si la gendarmerie a plusieurs fois communiqué sur le démantèlement de garages clandestins, la police n’a jamais fait part, pour l’instant, de telles enquêtes dans ses nombreux communiqués de presse.

Enfin, de son côté, la COM qui dispose de la compétence route et transport, pourrait imposer un contrôle plus approfondi lors de l’immatriculation d’un véhicule provenant de la partie hollandaise. Mais reste à voir si elle doit encore une fois renforcer des règles (d’origine nationales) comme elle le fait au niveau du RSA, car, de l’autre côté de la frontière, le système présente des lacunes et que les autorités limitent la coopération.

Mise en place d’un autre trafic en partie française depuis Irma

Un autre trafic est apparu depuis Irma, celui issu des vols de voitures déclarées épaves mais qui peuvent encore rouler. Lorsque la compagnie d’assurance a déclaré une voiture épave, le véhicule doit être détruit ou récupéré pour pièces détachées par un garage. En aucun cas, il ne peut être remis en circulation. Pourtant, des particuliers se sont fait arnaquer. En effectuant la demande de carte grise, le service leur a dit que l’immatriculation était impossible car la voiture avait été déclarée épave. En effet, lorsqu’une compagnie d’assurance déclare une voiture épave, elle doit transmettre l’information au service des cartes grises pour éviter la remise en circulation des véhicules.

(photo d'illustration).