Six heures d’audience pour avoir insulté des policiers
Les faits sont simples : une femme a outragé et proféré des insultes à caractère raciste à des agents de la police aux frontières (PAF). De manière régulière comparaissent des individus pour ce type de faits devant le tribunal correctionnel. Les magistrats de Saint-Martin ont déjà eu à juger des Saint-Martinois et des métropolitains ayant insulté des gendarmes et des policiers territoriaux, dépositaires de l’autorité publique. Tous admettent leur emportement. Énervés car ils font l’objet d’un contrôle, ils parlent violemment et finissent à la barre du tribunal. L’examen de leur dossier ne dépasse pas une demi-heure. Une peine de prison avec sursis et l’obligation d’indemniser les victimes pour le préjudice moral subi sont prononcées. Un cas d’école pour les professionnels du droit.
Mais l’affaire de cette femme présentée jeudi devant le tribunal correctionnel de Saint-Martin a duré près de six heures. Une soixantaine de personnes sont venues au palais de justice la soutenir mais toutes n’ont pas eu accès à la salle d’audience par manque de places. C’est la première fois qu’un Saint-Martinois convoqué pour ce genre de faits obtient une telle assistance.
Les médias étaient aussi là, beaucoup plus nombreux que les deux ou trois qui ont l’habitude de couvrir les audiences. Cette affaire a revêtu une grande importance.
«I M A SAINT-MARTINER»
Sur le fond, elle n’était pourtant pas plus compliquée que les autres. Elle s’est distinguée par le message que la défense – composée de cinq avocats guadeloupéens – a cherché à délivrer à la justice. Et par ricochet à la population. Un message bien précis : les populations autochtones d’un pays sont écrasées et régies par «le groupe dominant» et perdent ainsi progressivement leur identité et deviennent minoritaires.
Jeudi, la prévenue était Nadika Stephen, très connue sur l’île pour son engagement à défendre l’identité saint-martinoise. Elle fait partie de l’association Soualiga Grassroots dont les membres, présents lors de l’audience, avaient revêtu un t-shirt blanc sur lequel était inscrit «I am a Saint-Martiner». Tout au long du procès, la défense s’est employée à faire admettre aux autorités que Nadika Stephen a le droit de revendiquer son identité saint-martinoise ainsi qu’à justifier le besoin et la nécessité de le faire.
Il n’était toutefois pas reproché à Madame Stephen d’avoir dit à des policiers «I am a Saint Martiner». Mais «sale Blanc, Blanc bec, sale chien, je chie la France, je chie tous les matins sur mon passeport français» à trois policiers. Ce qu’elle nie. Du moins elle prétend ne plus se souvenir de ses paroles.
À la barre, elle reconnaît son énervement ce jour-ci, le 16 juin 2015. Son fils venait d’être placé en garde à vue dans les locaux de la PAF pour avoir quelques heures plus tôt insulté un autre policier lors d’un contrôle d’identité. Pour rappel, le fils n’avait pas voulu donner son passeport au motif qu’il est Saint-Martinois, qu’il est connu sur l’île, par conséquent qu’il n’a pas besoin de justifier son identité. La tension était montée, il avait invectivé les policiers.
Nadika Stephen apprend l’interpellation de son fils par ses connaissances – elle précise qu’elle travaille à la Collectivité et qu’elle a plusieurs contacts. Un agent de la PAF l’appelle également pour lui demander d’apporter de la nourriture à son fils. Au début, ignorant les raisons de l’interpellation de son fils, Nadika Stephen s’emporte rapidement une première fois devant les policiers. Ensuite, elle va en préfecture pour obtenir des informations auprès du chef de cabinet. Elle retourne ensuite à la PAF porter de la nourriture à son fils. Et là, les échanges sont de nouveau violents. Toutefois, Nadika Stephen nie avoir prononcé les insultes et outrages cités dans la prévention.
L’un de ses conseils, maître Chevry, va tenter de le démontrer dans sa plaidoirie. L’avocate reprend tous les procès verbaux des policiers auditionnés et est en mesure d’affirmer que les insultes ont été proférées par la sœur de la prévenue, à ses côtés à la PAF ce jour-ci.
«On m’a interrogée sur ce que je n’ai pas dit mais pas sur ce que j’ai dit», déclare d’ailleurs Nadika Stephen, à l’issue des cinq plaidoiries des avocats, lorsqu’elle est invitée à reprendre la parole comme le veut la loi avant la fin du procès. Et ce qu’elle a dit est «I am a Saint-Martiner». Aux juges, elle le redit ce qu’elle avait dit lors de son audition du 27 juillet : «Je ne suis pas française car je ne viens pas de France. Je viens de Saint-Martin, je suis Saint-Martinoise avec un passeport français».
Dans cette affaire, la question qui se posait était de savoir si oui ou non, Madame Stephen avait proféré des insultes. Et si oui, apprécier leur caractère racial. Mais les six heures d’audience ont été orientées vers un autre débat, celui de la cause identitaire et du respect que les populations immigrées doivent avoir envers la population locale. La défense a fait appeler trois témoins à la barre, Daniella Jeffry (auteure de plusieurs ouvrages sur l’histoire de Saint-Martin), Julien Merion, professeur retraité de sciences politiques à l’université en Guadeloupe et Eli Domota, leader du LKP. N’ayant pas assisté aux faits, ils ne pouvaient confirmer ou infirmer les faits reprochés à Nadika Stephen. En racontant l'Histoire – principalement celle de la Guadeloupe, ils se sont alors employés à démontrer comment les populations immigrées sont parvenues à dominer les populations minoritaires originaires du pays.
«UNE AUDIENCE À RALLONGE»
«Une audience à rallonge», a ainsi commenté le vice-procureur Yves Paillard en préambule de son réquisitoire. «On a essayé de victimiser la prévenue… Demander son identité à une personne n’est-il pas le moyen le plus objectif pour savoir qui elle est ? Au lieu de la juger sur son apparence physique, sa couleur de peau ?», s’est-il interrogé. Plus tôt lors de l’audience, il avait posé la question à Daniella Jeffry. Celle-ci venait d’exposer l’histoire de Saint-Martin et de montrer le sentiment de frustration que la population locale pouvait ressentir aujourd’hui, suite à l’arrivée de «populations étrangères», responsables du «bouleversement de la société». Elle avait aussi reconnu la nécessité de la mission de la police aux frontières et son devoir, en l’occurrence «lutter contre l’immigration illégale». Le vice-procureur lui avait alors demandé «comment, selon elle, on reconnaît une personne illégale d’une personne légale». Elle n’avait pu apporter de réponse.
Yves Paillard dit comprendre l’état d’énervement et d’inquiétude dans laquelle la prévenue pouvait se trouver. «En tant que mère, elle était inquiète pour son fils, c’est tout à fait normal», conçoit-il. Il a en outre souligné son courage à défendre l’identité saint-martinoise. Mais n’accepte pas qu’on puisse insulter des personnes dépositaires de l’autorité publique. Il a ainsi requis une peine de trois mois de prison avec sursis ainsi qu’une amende de 2000 euros dont la moitié assortie du sursis.
Le jugement a été mis en délibéré au 19 janvier.
À lire aussi : les arguments de la défense.
Commentaires
Franchement, on va où? Encore
Franchement, on va où? Encore une belle démonstration du syndrome Saint Martinois qui les empêche avant tout d'avancer et d'organiser le vivre ensemble... Sans juger qui que ce soit, je ne suis dans le secret des Dieux, ce que je viens de lire me fait froid dans le dos...27 ans de présence et toujours ce complexe d'état de non-droit qui n'a pas changé!!! Quant au Elie Domota, qu'il reste chez lui ce fouteur de merde payé par l'état pour démolir les entreprises guadeloupéenne!!! Et puis 5 avocats!!! mais il fallait lui mettre 20 000 € d'amende avec les moyens qu'elle a!!! Madame ne veut pas être française? personne ne la retient! revendiquer un statut qui privilégie uniquement les soi-disant locaux descendants des îles anglaises... çà me fait hurler de rire...
Pardonnez moi mais vous étiez
Pardonnez moi mais vous étiez présent(e) sur les lieux pour savoir ce qui a été dit ou pas ? en 2016, vous prenez pour parole d'evangile tous que peut dire la presse ? Je ne défends personne dans cette histoire car je nétais pas sur place mais passons...je constate que certains ont la science infuse ici.