Le ministre de la Justice n’a pas voulu «semer l’illusion»
Le ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas, a été clair dès son arrivée à Saint-Martin : il n’est pas venu «avec une hotte pleine de cadeaux». «Je ne veux pas semer l’illusion», a-t-il déclaré. Il veut «être efficace». Le garde des sceaux est entré dans le vif du sujet avec l’ensemble des autorités judiciaires, policières et politiques qu’il a rencontrées ce vendredi 1er juillet à Marigot.
CHAMBRE DÉTACHÉE
Sa compréhension des problématiques locales était facilitée par un background acquis en 2014 lors de la réalisation d’une mission parlementaire d’information sur la collectivité avec Daniel Gibbs et René Dosière, alors qu’il était président de la commission des lois à l’Assemblée nationale. De ses entretiens avec les acteurs du monde judiciaire, Jean-Jacques Urvoas avait compris qu’un «renforcement du personnel du tribunal à Saint-Martin» était nécessaire. Depuis, l’Etat a créé une chambre détachée du tribunal de grande instance de Basse-Terre qui offre davantage de moyens humains et logistiques à Saint-Martin. L’annonce avait été faite par François Hollande lors de sa venue en mai 2015.
Cela avait toutefois été une surprise. En effet, Saint-Martin attendait plutôt - et cela depuis des années - la création d’un tribunal de première instance (TPI). Des missions de la Chancellerie avaient eu lieu en 2005 et 2006. «La création d’un TPI est d’ailleurs écrite dans la loi organique de Saint-Martin», rappelle Jean-Jacques Urvoas, soulignant ainsi ce non respect des engagements. «Les TPI faisaient aussi partie du projet de loi Justice du XXIè siècle que Christiane Taubira avait commencé à porter ; mais devant une levée de boucliers, elle avait dû y renoncer», poursuit le Garde des Sceaux. Aussi le gouvernement a-t-il dû trouver une alternative et «la chambre détachée est apparue comme le meilleur outil». Elle sera opérationnelle en 2018 et comptera vingt-cinq magistrats.
Il n’empêche que Saint-Martin ne dispose pas de tous les moyens dont elle devrait en tant que collectivité à part entière. Et Jean-Jacques Urvoas de reconnaître qu’effectivement la question d’implanter un tribunal de grande instance (TGI) pourrait se poser à long terme. Mais, s’il admet la pertinence du questionnement au regard du contexte institutionnel, il y répond, avec autant de certitude, par la négative. Il estime en effet que Saint-Martin serait alors une petite juridiction avec seulement quelques magistrats et que, généralement «les petites juridictions sont peu attractives». Autrement dit que les candidatures aux postes à Saint-Martin ne seraient pas nombreuses. Aussi pense-t-il plus favorable «d’appartenir à une plus grande juridiction». Comme celle de la Guadeloupe.
MAISON D’ARRÊT
Autre thème sur lequel le ministre a coupé court aux plans tirés sur la comète : celui de l’implantation d’une maison d’arrêt à Saint-Martin. Le sujet revenait en effet de plus en plus dans les débats depuis quelques années, précisément depuis que l’idée avait émergé dans un rapport sur les conditions pénitentiaires en outre-mer remis à Christiane Taubira. Même la structure en modulaire suggérée ne peut être retenue. «Les peines de prison prononcées par les magistrats sont trop longues pour maintenir en détention des personnes dans une structure en modulaire», a pu constater le ministre. Et c’est sans compter le trop grand montant qu’il faudrait investir, quelque 60 millions d’euros. À titre informatif, l’Etat participe à hauteur de 1,3 million d’euros dans le chantier de la chambre détachée qui en coûte 1,9.
En revanche, Jean-Jacques Urvoas approuve le besoin du parquet d’améliorer «la visibilité de l’action publique» à Saint-Martin. Le constat est aujourd’hui le suivant : «un individu part en prison en Guadeloupe et quand il en revient, il peut faire comme si de rien n’était. Il peut dire qu’il est parti en formation ou autre». Autrement dit, sa condamnation et sa sanction n’ont aucun impact. Jean-Jacques Urvoas préfère alors réfléchir à la construction d’un établissement où seraient effectuées les fins de peine. «Les individus effectueraient leur peine de prison en Guadeloupe ou ailleurs en métropole et quelques temps avant la fin, ils reviendraient ici à Saint-Martin», a-t-il expliqué. Ce qui permettrait aussi de préparer leur réinsertion dans la société.
COOPÉRATION AVEC SINT MAARTEN
Enfin, la troisième problématique que le ministre de la Justice a abordée ce vendredi, est celle de la coopération avec la partie hollandaise. En 2014, il s’était entretenu avec les autorités néerlandaises tant à Sint Maarten qu’aux Pays Bas et avait ainsi pu mesurer toutes les difficultés que les deux systèmes rencontraient pour fonctionner en harmonie.
Pour mémoire, Jean-Jacques Urvoas avait facilité la publication du décret portant sur l’application de l’accord de coopération policière entre Saint-Martin et Sint Maarten ; un accord qui datait de 2010 mais qui n’avait jamais été ratifié par la France et les Pays Bas. Trois jours après son retour à Paris, le décret avait été soumis en conseil des ministres. Vendredi, les magistrats ont formulé certaines demandes comme l’emploi d’un interprète à temps plein et des procédures facilitant les enquêtes. «Nous devons augmenter nos marges de progression et chercher des outils permettant un renforcement de la coopération policière, des outils qui soient des outils bilatéraux. Nous avons besoin de souplesse», admet le Garde des Sceaux qui dès son retour à Paris le 6 juillet (il se rend en Guadeloupe, ndlr) va plancher sur la question. «En France il existe des magistrats dits de liaison. Il en existe par exemple en Belgique mais je ne sais pas s’il y en a aux Pays-Bas, je vais vérifier», a expliqué Jean-Jacques Urvoas qui aimerait notamment pouvoir avoir «une déclinaison du mandat d’arrêt européen» localement sur l’île.
Même si Jean-Jacques Urvoas n’est pas venu avec «une hotte de pleine cadeaux», il s’est montré «attentif et à l’écoute» des besoins. «On peut lui faire confiance pour tenir ses engagements. Tout ce qu’il avait dit qu’il ferait lors de la mission parlementaire, il l’a fait», avoue le député Daniel Gibbs que Jean-Jacques Urvoas apprécie aussi. «J’ai toujours aimé travailler avec Daniel» confie le ministre. En 2014, il n’avait déjà pas tari d’éloges à son égard, sur «sa passion et son engagement pour son territoire». «J’ai toujours aimé travailler avec Daniel car c’est dans l’intérêt général», avoue Jean-Jacques Urvoas. Et de le faire d’autant plus aisément qu’il ne peut être taxé de favoriser sa famille politique, l’un étant au Parti socialiste, l’autre aux Républicains. «Ce n’est pas partisan… Alors si je peux être utile et permettre de trouver des solutions, et bien tant mieux».