D. Gibbs et G. Arnell justifient la détérioration des relations entre l'Etat et la COM
Michel Magras, ancien sénateur de Saint-Barthélemy et président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, a conduit un groupe de travail sur le volet outre-mer de la décentralisation des compétences de l’Etat. Il s’est entretenu avec les représentants des territoires ultramarins, notamment Daniel Gibbs et Guillaume Arnell. La manière dont l’Etat doit intervenir à Saint-Martin et comment elle pourrait être améliorée, a été le fil conducteur des échanges.
Le président de la COM et l’ancien sénateur de Saint-Martin ont notamment exposé leur point de vue sur le fonctionnement des relations entre la COM et l’Etat localement. Tous deux déplorent la détérioration de ces relations et regrettent celles entretenues avec Anne Laubies, l’ancienne préfète. Et ne mâchent pas leurs mots.
Interrogé en premier sur la répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales, le président de la COM rappelle que durant plusieurs années, Saint-Martin a «connu une situation locale singulière, caractérisée par une commune faible au sens de dotée de peu de moyens et un État faible au sens de distant et peu engagé». Aussi avait-il été supposé que le nouveau statut de COM devait permettre «de nouer un véritable partenariat entre une collectivité d'outre-mer forte, c'est-à-dire dotée des outils de son développement, et un État fort, garantissant les intérêts de la Nation». Selon lui seul ce «partenariat loyal et équilibré avec l'État» permet «l'application pleine et entière des dispositions statutaires ». Or, «force est de constater que cet équilibre n'a pas été trouvé, malgré des tâtonnements parfois fructueux», déclare-t-il. Pour plusieurs raisons.
«La COM, faute de moyens budgétaires et humains, ne parvient pas à exercer efficacement l'intégralité de ses compétences tandis que l'État, faute de volonté politique ne joue pas le rôle de garant de l'intérêt général que l'on attend de lui». Les deux sont certainement «trop souvent confrontés» à gérer des urgences «pour avancer de concert».
Si le président de COM reconnaît des avancées notamment dans le domaine de la sécurité avec un renforcement des effectifs de gendarmerie, dans le domaine de justice l’inauguration d’un nouveau tribunal ou encore dans le domaine de l’Education avec la création d’un poste de vice-recteur, il cite aussi ceux où l’Etat a failli : non mise à jour du cadastre, pas d’antenne Insee et donc de statistiques socioéconomiques du territoire, non accompagnement lors du transfert de certaines compétences, etc., ce qui a des répercussions sur les politiques locales.
Il confie aussi que la situation ne va pas en s’améliorant. Il a le sentiment que l’Etat veut reprendre du «pouvoir». « Plutôt qu'une volonté de travailler ensemble, il existe une volonté de reprendre l'outil et de le faire fonctionner lui-même, faisant des élus des instruments de validation plutôt que des institutions ayant la possibilité de gérer », lâche-t-il.
Puis il fait aussi et surtout remarquer que «les relations avec l'État local(…) se sont singulièrement dégradées » après avoir «pourtant connu de belles manifestations de coopération sur le terrain en septembre 2017 avec la préfète Anne Laubies». En d’autres termes, les relations se sont dégradées avec l’arrivée de l’actuelle préfète.
«Le président peut avoir le sentiment que le blocage se situe au niveau des relations entre COM et État, mais il en est de même pour les relations entre parlementaires et État», surenchérit Guillaume Arnell. Anne Laubies qui a été préfète de Saint-Martin entre 2015 et 2018, «a su mettre son expérience et ses compétences au service du territoire, ce qui est tout à son honneur. Les moments où nous avons progressé sur ce territoire ont été les moments où elle était là ! », commente l’ancien sénateur. Pour lui, l’ancienne préfète «a été l'exemple même de ce que devrait être un représentant de l'État dans un territoire ultramarin. La population saint-martinoise le lui a reconnu à l'unanimité puisque nous l'avions gratifiée du surnom de Queen Elizabeth». Et d’ajouter : «aujourd'hui, la préfète de Saint-Martin est d'un autre calibre».
Guillaume Arnell partage aussi «l'idée que les services de l'État doivent s'attacher à travailler uniquement sur la partie administrative, le contrôle de légalité et les compétences régaliennes de l'État. Ils ne doivent, en aucune manière, interférer dans les choix des politiques locales, ce qui ferait perdre leur autonomie à nos territoires». Et de suggérer que «le choix des hommes et des femmes servant en outre-mer doit être calibré, vérifié au préalable pour garantir la meilleure représentation et le meilleur équilibre entre les rôles et les responsabilités de chacun. »
Pour Daniel Gibbs, «tout est surtout question de pratique, de circonstances et de personnalités». «La préfecture a vocation à jouer, et, en l'occurrence, à rejouer, le rôle d'un conseil juridique susceptible d'alerter les élus à titre préventif ». «Ce rôle était parfaitement joué du temps de la préfète Anne Laubies, avec laquelle les rapports entre État et COM ont toujours été basés sur un consentement mutuel», insiste-t-il. «La personnalité du préfet semble faire la différence dans ce genre de situation. La préfecture doit faire preuve de pédagogie, être un ajusteur et un facilitateur. Elle ne doit pas être, seulement, un censeur», veut-il faire admettre.
Les deux élus locaux pensent que les fonctionnaires d'État nommés en outre-mer doivent avoir une connaissance de ces «territoires sensibles où certaines situations peuvent rapidement se dégrader. Les COM ont besoin d'agents à l'écoute, ouverts d'esprit, aptes à la négociation et disposés à la concertation avec les autorités locales ». «La préfète Anne Laubies avait une parfaite connaissance des problématiques de la collectivité et a, pour autant, adopté une approche orientée vers l'accompagnement et la prévention des problématiques. Elle n'a pas fait preuve d'un harcèlement constant », martèle le président.
«Cela sous-entend aussi qu'un exécutif fort ne suffit pas dans ce genre de situations. L'ensemble des élus doit faire bloc contre ce type d'agissements», complète Guillaume Arnell.