Le tribunal invite les "frères Watt à donner l'exemple" à Sandy Ground
Trois individus étaient convoqués vendredi devant le tribunal de proximité de Saint-Martin selon la procédure de comparution immédiate pour avoir jeté des pierres sur des gendarmes et détérioré un véhicule de service. Juger des personnes qui insultent, outragent ou caillassent des gendarmes ou policiers territoriaux est assez classique, de telles affaires reviennent régulièrement à la barre du tribunal de Saint-Martin.
Mais l’affaire examinée vendredi dernier a revêtu un tout autre caractère en raison des trois prévenus ; en effet il s’agissait des trois «frères Watt» qui animent une association pour les jeunes à Sandy Ground et qui tentent par leurs actions de donner une meilleure image de leur quartier et des jeunes. Au delà de leur geste, ils ont été décriés pour leur comportement qui va à l’encontre des principes qu’ils veulent véhiculer.
Les faits remontent au dimanche 11 octobre dernier. Un peu avant le stade de Sandy Ground, les gendarmes contrôlent une jeune femme sans casque qui pilote un deux roues non homologué pour la route, en l’occurrence une motocross. Rapidement, une dizaine d’individus s’agglutine autour des gendarmes et la situation dégénère. Les gendarmes sont la cible de jets de pierre, ils demandent des renforts et quittent les lieux. La lunette arrière de leur voiture est cassée.
A leur retour à la brigade, les militaires déposent plainte. Ils sont choqués, précisément la jeune élève gendarme. Dans son rapport, le médecin qui les a examinés, souligne qu’ils pourront «avoir des suites psychologiques» suite à cet événement.
Une enquête est ouverte pour identifier les auteurs des jets de pierre. Dans un premier temps, les gendarmes agressés affirment ne pas être capables de pouvoir les reconnaître. Puis un tapissage de photos leur est présenté et ils reconnaissent des visages. Ensuite, une confrontation a lieu entre les présumés agresseurs et les victimes, confrontation lors de laquelle les gendarmes n’ont aucun doute sur l’identité des trois individus, il s’agirait de Jeremy, Thierry et Carlic Watt.
Les trois frères sont placés en garde à vue le 21 octobre et nient les faits qui leur sont reprochés. Ils sont néanmoins convoqués, sous escorte, devant le tribunal deux jours plus tard.
Jeremy demande un délai pour préparer sa défense
En début d’audience, comme la loi le permet, Jeremy demande un délai pour préparer sa défense. Il souhaite ce délai pour établir la preuve qu’il n’était pas présent sur les lieux de l’agression. Il affirme qu’il était en partie hollandaise au moment des faits. Le tribunal accorde de droit le délai, mais doit statuer sur la situation judiciaire de Jeremy dans l’attente de son procès qui aura lieu le 18 novembre ; le parquet sollicite un placement en détention provisoire mais le tribunal prononcera son placement sous contrôle judiciaire. Jeremy doit pointer à la gendarmerie tous les deux jours jusqu’au 18 novembre.
Jeremy sait les enjeux de ce procès. En septembre dernier il a déjà été condamné pour avoir jeté une pierre sur la voiture d’une femme qui l’avait éclaboussé en passant dans une flaque d’eau à Sandy Ground. Elle ne s’était pas arrêtée pour s’excuser, cela avait énervé Jeremy qui l’avait poursuivie en scooter. «Cette condamnation m’a donné une mauvaise pub», a-t-il confié au tribunal. Il dit avoir perdu des soutiens financiers pour son association qui œuvre à réaliser des fresques de peinture, et autres actions à destination des jeunes.
Carlic affirme qu’il vendait des t-shirts au niveau du pont
Carlic et Thierry acceptent eux d’être jugés en comparution immédiate vendredi. A tour de rôle ils livrent leur version des faits. Carlic affirme qu’il était absent, «ne sait pas comment son nom est arrivé dans l’enquête». Au moment des faits, il «vendait des t-shirts» de l’autre côté du pont, une activité qu’il pratique de manière régulière pour le compte de l’association et qui lui rapporte «1 000 dollars par mois».
«Pourtant la jeune gendarme est formelle lors de la confrontation, elle vous reconnaît», fait remarquer le tribunal. «Beaucoup de personnes me ressemblent», objecte-t-il. «Mais pourquoi lors de votre audition, vous n’avez pas dit aux gendarmes que vous vendiez des t-shirts à ce moment là ?», demandent les juges. «Parce qu’ils ne m’ont pas demandé ce que je faisais à la place», répond-il. «Vous savez pourtant ce qu’est un alibi… On a tous regardé des séries américains à la télé… Et personne n’est venu spontanément témoigner de votre présence au pont à vendre des t-shirts», rétorque le tribunal.
A son tour, Thierry nie les faits. Il explique avoir vu la jeune fille qu’il connaît, se faire contrôler. «Je suis allé vers le contrôle pour parler avec les gendarmes, pour leur demander de donner une chance à la fille», explique-t-il. «Parfois, lors d’un contrôle, si la personne n’a pas de casque, les gendarmes demandent d’aller en chercher un et libèrent la personne ensuite», affirme-t-il. Une déclaration qui laisse dubitatif le tribunal. «Mais je n’ai pas lancé de pierres. Quand je me suis approché, il y avait déjà des pierres qui étaient lancées», précise-t-il. «Mais vous avez quand même continué d’avancer vers le contrôle ! », s’étonnent les juges.
Thierry est conscient de l’enjeu de ce procès car en décembre prochain, il doit comparaître pour d’autres faits similaires devant ce même tribunal.
Vendredi il a essayé de convaincre les magistrats des conséquences d’éventuelles condamnations sur sa famille et le quartier. D’une part, il a répété qu’il doit prochainement ouvrir «un restaurant familial» sur le front de mer à Marigot, que s’il va en prison, le restaurant ne pourra pas ouvrir, et que sa mère dont il s’occupe sera seule. D’autre part, «notre association, c’est Sandy Ground, Sandy Ground c’est nous. Si on n’est pas là, il n’y aura personne pour les jeunes », assure-t-il. Des arguments que les magistrats ont entendus mais auxquels ils ont répondu : «Quand on a la prétention de donner des leçons aux jeunes, on commence par se comporter bien soi-même. C’est ça donner l’exemple.»
Il est aussi reproché à Thierry d’avoir touché la jambe d’un gendarme avec la roue de sa moto en faisant demi-tour, la trace du pneu ayant été relevée sur le pantalon. S’il reconnaît avoir fait demi tour avant de se garer pour aller vers le contrôle, il dément par contre avoir touché la jambe du gendarme.
«On ne se mêle pas d’un contrôle surtout si la personne contrôlée est en infraction», martèle le tribunal. Et de dénoncer le comportement de certains : «ici vous voulez faire ce que vous voulez». «Vous êtes comme des enragés», a lâché le vice-procureur lors de son réquisitoire en précisant qu’il mesurait ses mots. «Il ne se passe pas un jour sans que les gendarmes ne se fassent menacer, insulter lors d’un contrôle. On agit ainsi car on essaie de faire libérer la personne qui est en train d’être contrôlée… Vous avez mis assez le bordel à Sandy Ground en décembre 2019... Toutes les semaines, des habitants de Sandy Ground nous appellent pour nous demander de faire cesser le trafic de drogue et les wheeling à Sandy Ground… Vous feriez bien de mieux organiser le quartier de Sandy Ground… » a lourdement et sévèrement insisté le représentant du ministère public qui a aussi confié ne plus vouloir traverser Sandy Ground par peur. Et de lancer en regardant Carlic et Thierry avant de requérir une peine de dix mois de prison à l’encontre de chacun : «si les frères Watt n’ont pas caillassé les gendarmes comme ils le disent, alors les frères Watt, faites en sorte que les mecs ne soient plus au milieu de la route… Je vous invite à remettre de l’ordre.»Après avoir délibéré pendant près de trente minutes, le tribunal a prononcé une peine supérieure de deux mois à celle demandée par le parquet. Carlic et Thierry écopent chacun aussi d’une amende de 1 000 euros et d’une interdiction de détenir une arme pendant cinq ans. Les constitutions des parties civiles ont été reçues et leur examen renvoyé sur intérêt civil.
La conductrice de la moto aussi convoquée
Lors du contrôle, la jeune fille qui pilotait la motocross était parvenue à s’enfuir bien qu’elle avait une menotte au poignet. Elle a toutefois été rapidement identifiée et interpellée. Domiciliée à Saint-Barth, elle a été reconduite par bateau. Le parquet lui a notifié une convocation en justice.