Préfecture de plein exercice, lutte contre l'insécurité routière et le chômage : Vincent Berton fait le point sur les priorités de l'Etat
2024 va être une année importante avec la poursuite de la mise en place d’une préfecture de plein exercice. «De plein exercice», pouvez-vous nous préciser ce que cela veut dire exactement ?
En 2009, la préfecture de Saint-Martin a été créée avec les services, les compétences et les missions d’une préfecture. Elle est dirigée par un préfet délégué qui est placé sous l’autorité du préfet de Guadeloupe, lequel est le représentant de l’Etat à Saint-Martin.
En juin l’année dernière, lors du CIOM, le conseil interministériel des outre-mer, il a été décidé d’installer un préfet de plein d’exercice. Concrètement, cela signifie qu’il aura plus d’autorité qu’un préfet délégué car il n’aura plus à référer auprès du préfet de Guadeloupe. Il sera le représentant de l’Etat à Saint-Martin et traitera directement avec Paris et non plus avec la Guadeloupe.
Il gagne ainsi en autorité et en autonomie ; autonomie au niveau des décisions mais aussi en termes de budget. Davantage de moyens seront alloués. Des moyens spécifiques seront octroyés à Saint-Martin.
Le public, les Saint-Martinois ne verront pas forcément ce changement mais en interne, nous allons le ressentir. La mise en place d’un préfet de plein exercice va permettre une instruction plus simple et donc plus efficace des dossiers, tout se fera ici à Saint-Martin.
Aujourd’hui, vous êtes préfet délégué, la Martinique, la Guadeloupe ou la Guyane ont des préfets de Région ? Quel sera le statut du futur préfet de Saint-Martin ? Allez-vous rester à Saint-Martin malgré ce changement de statut ?
Le futur préfet ne sera ni préfet de Département, ni de Région, il sera préfet dans les collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin. Il sera nommé en conseil des ministres et sa nomination fera l’objet d’un décret.
Concernant la personne, je ne peux pas rien vous dire car ce sera un choix du président de la République sur proposition du ministre de l’Intérieur.
Avez-vous une estimation de la date à laquelle le nouveau préfet sera installé ?
Là aussi, c’est difficile de répondre. Les décisions sont prises à Paris, les travaux sont en cours. Il ne suffit pas uniquement de nommer un préfet, il faut également changer certains textes législatifs, notamment le décret de 2009 stipulant la création de la préfecture.
Une cité administrative rassemblera tous les services de l’Etat. Où en est le chantier ?
Il suit son cours. Les travaux de terrassement ont débuté. La date de fin réception du chantier n’a pas changé, elle reste fixée à fin 2025.
Pour rappel, il s’agit d’un programme de 38 millions d’euros dans le cadre du Plan de relance. La cité administrative abritera l’ensemble des services de l’Etat et judiciaires, cela concerne quelque 280 agents ; seuls les services de la gendarmerie n’y seront pas.
Le 13 janvier dernier, le groupement de gendarmerie de Saint-Martin et Saint-Barthélemy a été officiellement créé lors d’une cérémonie de prise d’armes à Oyster Pond. En quoi consiste ce nouveau groupement ?
Cela s’inscrit dans la logique de la préfecture de plein exercice. Jusqu’alors, la compagnie de gendarmerie de Saint-Barthélemy et Saint-Martin dépendait de la compagnie de Guadeloupe, maintenant nos deux îles ont leur propre groupement de gendarmerie.
Toutes les décisions sont désormais prises sur notre territoire, plus besoin d’en référer en Guadeloupe. Toutefois, au niveau des enquêtes judicaires, les gendarmes demeurent sous l’autorité du procureur de la République ou d’un juge d’instruction basé en Guadeloupe.
Nos deux îles vont également recevoir des renforts humains, notamment au niveau des renseignements judiciaires.
Un même travail est-il engagé pour la police aux frontières ? Voire pour d’autres services ?
Un même travail est effectivement engagé au niveau de la PAF, de la police.
Globalement, même si nous avons ici à Saint-Martin une préfecture de plein exercice, nous resterons dépendants de la Guadeloupe pour certains services, par exemple comme ceux de l’agence régionale de santé. De même pour la direction régionale des finances publiques, Saint-Martin demeurera rattachée à celle de Guadeloupe.
Lutter contre l’insécurité routière est l’un des gros enjeux sur le territoire. Chaque nouveau préfet, chaque nouveau chef d’escadron en fait sa priorité. Pourtant, ce sentiment d’incivisme et d’insécurité sur les routes demeure. Comment l’expliquez-vous ?
Dire que la lutte contre l’insécurité routière est une priorité n’est pas une formule toute faite, c’est une réalité. Quand je suis arrivé en 2022, Saint-Martin était en situation d’échec. L’insécurité routière est le reflet d’une violence sociale, une réalité profonde. C’est un problème majeur mais il ne peut pas être réglé en trois mois.
Il a déjà fallu poser le problème. Nous avons mis en place les Assises de la sécurité routière, réunis tous les acteurs pour que tous se mettent d’accord sur un constat. Nous avons sollicité l’Éducation nationale qui s’est aussi impliquée en sensibilisant les élèves via une charte de bonne conduite.
Outre la prévention, beaucoup d’actions de répression ont également été engagées. De nombreuses verbalisations et saisies ont été enregistrées. Nous sommes aussi en train de mettre en place le procès-verbal électronique. La violence routière concerne tout le monde.
Il y a certes un risque de se décourager mais cette lutte doit se mener sur le long terme. Je suis convaincu que Saint-Martin peut y arriver, il n’y aucune fatalité. C’est une prise de conscience sociétale.
Autre cheval de bataille, la lutte contre le chômage et notamment celui des jeunes. Vous avez à plusieurs reprises incité les entreprises locales à faire preuve de «patriotisme économique». Avez-vous l’impression qu’elles en manifestent trop peu ?
Ce n’est pas un sentiment, c’est une réalité notamment dans des secteurs comme le tourisme ou le BTP. Souvent les entreprises indiquent qu’elles ont des difficultés à trouver une main d’œuvre adaptée et aussi vont-elles recruter ailleurs, ce qui coûte cher. Nous devons accompagner les entreprises à recruter localement et permettre aux personnes sans emploi de se remettre sur le marché du travail, car au delà du problème de compétence il y a aussi des problèmes au niveau de la langue, du savoir-être, etc.
Nous sommes tous sur le même bateau, nous sommes inter-indépendants les uns des autres. Il n’y a pas d’économie sans volet social. Mais il y a une prise de conscience avec l’engagement de certains acteurs comme la FIPCOM, le club du tourisme ou encore la CCISM.
L’Etat soutient ainsi plusieurs beaux projets : par exemple le projet Mangrove mené par le restaurant CocoBeach qui va permettre la formation de jeunes ; nous avons aussi soutenu le projet de tiers-lieu de l’association des Compagnons Bâtisseurs qui va permettre de remettre sur le marché de l’emploi des Saint-Martinois avec des coachings individualisés.
Vous parlez souvent d’un «Etat fort», vous croyez en la nécessité d’un «Etat fort» dans la Collectivité de Saint-Martin régie par l’article 74 de la Constitution ? Pour quelles raisons ?
Oui, je pense que Saint-Martin a besoin d’un Etat fort. Saint-Martin a une certaine autonomie et l’Etat doit être là pour garantir cette autonomie. Quand je dis que l’Etat doit être fort, j’entends qu’il doit aider Saint-Martin à exercer ses compétences, doit offrir les moyens et les capacités d’agir.
Les élus demandent un Etat plus proche et attendent un Etat fort dans le domaine notamment de l’Education avec la question du bilinguisme, dans le domaine de la coopération transfrontalière, dans le domaine de l’immigration irrégulière, en mer. Ce qu’il l’est.