30.01.2025

Vincent Berton : "Saint-Martin est une île où, je pense, on se sent assez rapidement à l'aise"

Vincent Berton a été nommé préfet de Corrèze. Après trois années passées à Saint-Martin, il quittera ces fonctions de représentant de l'État à Saint-Martin la semaine prochaine. Avant de partir, il a accepté de faire un bilan de l'action de l'État, d'évoquer les difficultés à agir et de livrer ses impressions sur le territoire.

La préfecture de plein exercice a été créée début janvier et vous avez été nommé quelques jours plus tard pour occuper un autre poste de préfet, en Corrèze. Dans quel état d'esprit avez-vous accueilli cette décision ? Êtes-vous amer de ne pas pouvoir inaugurer cette nouvelle préfecture ?

Non, pas du tout. J'ai passé trois années à Saint-Martin, ce qui est au-delà de la moyenne des préfets sur l'île. Je crois avoir fait avancer beaucoup de projets, notamment liés à la reconstruction post Irma. En trois ans, les choses ont beaucoup évolué : nous avons recouvré un niveau touristique proche d'avant Irma, signé l'accord sur la frontière [à Oyster Pond] avec St Maarten, un accord historique, nous allons livrer les collèges 600 et 900 à la rentrée, et bien sûr la création de la préfecture de plein exercice.

Non, il n'y a pas d'amertume. Bien sûr il y a de la tristesse, beaucoup de tristesse de quitter Saint-Martin qui est une île qui m'a énormément marqué et appris. Mais aucune amertume, ce sont les règles du jeu et on les connait très bien quand on fait ce métier, il n'y a pas de surprise.

Vous aviez été nommé en mars 2022, vous partez le 6 février. Que retenez-vous de ce séjour ?

La beauté de Saint-Martin, cette beauté maritime, je suis marin, je suis très sensible à cela. La beauté aussi de ses habitants, des Saint-Martinois. J'ai eu énormément de plaisir à partager leur existence pendant trois ans. Je me suis senti, très vite, très à l'aise, vraiment chez moi, à Saint-Martin. Je pense que c'est très lié à cette culture anglo-saxonne qui est faite de beaucoup de simplicité, d'ouverture d'esprit, de cosmopolitisme. Saint-Martin, c'est ce bassin du nord de la Caraïbe avec ces confrontations de cultures espagnole, anglo-saxonne et française, que je trouve extrêmement riches. C'est le souvenir que je garderai.

Je me souviendrai aussi de cette approche aussi très pragmatique des sujets sans préjugés, peu d'idéologie, peu de dogmatisme, beaucoup d'ouverture d'esprit, j'ai vraiment énormément apprécié. Saint-Martin est une île où, je pense, on se sent assez rapidement à l'aise.

Cela n'enlève rien aux difficultés de l'action de l'État ici. C'est une île où l'action est complexe parce que les moyens sont très limités, parce qu'on est isolé, parfois oublié, parce qu'on a des régimes juridiques très particuliers qui sont mal connus. Il y a des enjeux énormes ici à Saint-Martin, l'action de l'Etat est très complexe mais aussi très gratifiante ; je trouve que les gens sont reconnaissants de ce que vous faites, de votre action, et cela est aussi très agréable. Globalement il y a une bonne reconnaissance de l'action de l'État et c'est très gratifiant.

Saint-Martin est un tout petit territoire et donc peut être considéré comme peu attractif par un fonctionnaire en quête de destination pour sa future mutation. Or, tous ceux qui ont exercé ici, affirment en partant que Saint-Martin représente une expérience unique et très enrichissante professionnellement de par ce statut, car comme vous le disiez, l'action de l'État est complexe. Confirmez-vous cette impression ?

C'est une expérience qui est assez exceptionnelle parce qu'il y a un isolement, la bi-nationalité du territoire, des enjeux qui sont totalement uniques, de coopération internationale, d'action de l'État en mer, de lutte contre les trafics et de développement économique qui sont exceptionnels, qu'effectivement on ne rencontrera pas ailleurs, dans l'Hexagone.

S'il y a des gens qui ont peur de s'ennuyer à Saint-Martin, il faut les détromper ! C'est impossible de s'ennuyer à Saint-Martin ! Tant sur le plan professionnel que personnel.

Humainement, j'ai fait des rencontres comme j'en ai rarement fait dans d'autres postes. Même si on n'est que 33 000 habitants sur la partie française, il y a une telle diversité de populations, de personnes, de parcours extrêmement enrichissant, qui fait que Saint-Martin reste exceptionnel !

Les relations entre l'État et la Collectivité peuvent parfois être tendues, on se souvient d'épisodes particulièrement ardus notamment pendant le covid-19 ou la révision du PPRN. Durant votre exercice, elles semblent avoir été plutôt cordiales. L'ont-elles vraiment été ?

Le contexte est sûrement très différent de celui du covid ou celui du PPRN. J'ai vraiment cherché à fédérer. J'ai voulu être fédérateur sur les projets de cette île avec les élus, mais pas uniquement, aussi avec les associations et le monde économique.

En arrivant, j'ai ressenti un besoin pour l'État de fédérer, de rassembler. J'ai ressenti une très forte demande. C'était donc pour moi une discipline en quelque sorte, une vraie ligne de conduite que de chercher à fédérer et à faire avancer des projets.

La relation avec la COM est effectivement très cordiale, confiante et très respectueuse. Pour moi, le respect des élus est totalement évident. Cela n'enlève rien aux désaccords que nous avons pu avoir. Mais je pense que le président Mussington et moi-même nous sommes attachés à cultiver cet esprit de cordialité et de confiance pour faire avancer les projets.

Je pense que cela est absolument indispensable. Au vu de la modestie de la taille de l'île, de la modestie des moyens de l'action publique, on ne peut pas se permettre de se tirer dans les pattes ou d'agir de manière non concertée. Ce serait forcément très neutralisant.

J'ai trouvé une oreille attentive aux remarques que l'on pouvait faire, même si certaines ont pu passer par des déférés en justice. J'ai toujours resenti de l'écoute et de la compréhension plus que de l'opposition.

En 2020, un décret est paru visant à accorder le droit de dérogation d'un préfet dans certains domaines*. Avez-vous usé de ce droit ? Avec le recul, y aurait-il, selon vous, des domaines dans lesquels le représentant de l'État devrait avoir davantage de pouvoirs ? Avez-vous pu constater votre action limitée, restreinte à cause de la loi ?

Assez rarement. Je n'ai pas trouvé que c'était le droit qui était une contrainte à mon action parce qu'on peut déroger effectivement. Et on le fait, implicitement ou explicitement, assez fréquemment à Saint-Martin. Je pense notamment à ce qui a trait au délai d'exécution des subventions, on reporte très souvent ces délais, ce qui, d'ailleurs, relève un autre problème, qui est la capacité à conduire des projets à Saint-Martin. C'est une vraie difficulté par manque de moyens, d'ingénierie.

Je pense aussi l'application de certaines normes en matière environnementale... On est amené à déroger en raison d'une impossibilité pratique. Globalement, on est amené à faire des dérogations assez régulièrement.

Rarement le droit a été un frein à l'action publique, cela a été davantage, le problème des moyens, de la capacité d'ingénierie, de la capacité à conduire des projets.

Nous avons toutefois permis de faire évoluer le droit lors du CIOM. Je pense par exemple à la possibilité pour Action Logement ou l'Anah d'intervenir sur le territoire, ces acteurs du logement ne pouvaient pas intervenir à Saint-Martin car c'était une collectivité d'outre-mer. Je pense aussi aux avancées sur le foncier, à la mise en place d'un comité sur les médicaments et des soins. C'est un peu technique, mais c'est important car c'est donner la possibilité aux autorités localement d'avoir plus de pouvoir de décision sur le secteur de la santé, et je crois que c'était aussi une demande de la population.

En trois ans, il y a eu pas mal d'avancées juridiques qui ont été apportées au profit de Saint-Martin. Donc, non, le droit, en tant que tel, n'est pas un obstacle mais par contre cela demande beaucoup d'expertise, on a un ordre juridique particulier ici et peu de monde le maîtrise.

Vous avez représenté l'Etat pendant trois ans. Vous avez été souvent sur le terrain pour apprécier le territoire. Selon vous, la vision de Saint-Martin à Paris correspond-elle vraiment à la réalité ?

Certainement, c'est un rôle important pour le préfet que d'être l'ambassadeur de Saint-Martin à Paris si je peux dire, de défendre à Paris des dossiers saint-martinois qui sont souvent peu connus. Mais cela est normal, car on est une petite île pas très connue et en plus avec une autonomie très forte de par l'article 74 de la Constitution, pas forcement très connue par l'administration centrale.

L'un des rôles essentiels du préfet de Saint-Martin est d'aller à Paris défendre des dossiers et de faire le lien entre le local et le national. Cela explique qu'on est amené à aller très souvent à Paris, ce sont des moments essentiels pour porter les projets, ce qui se fait moins naturellement pour un préfet en métropole où le cadre est le même pour tous les départements.

Ici, l'ordre juridique est particulier, les sujets sont particuliers : cyclones, risques naturels, gestion de l'isolement, desserte aérienne, bi-nationalité de l'île qui est un sujet unique. On a des tas de sujets très particuliers que l'administration centrale n'appréhende pas spontanément et, donc, qui nécessitent d'être vraiment portés, fortement, par le niveau local.

Enfin, quel message aimeriez-vous délivrer à la population avant de partir ?

Tout d'abord un message de reconnaissance à titre personnel aux Saint-Martinois pour leur accueil et pour tout ce qu'ils m'ont apporté sur le plan humain pendant trois ans, je suis extrêmement reconnaissant.
Et un message d'espoir... Ce n'est peut-être pas très original, mais, oui un message d'espoir, parce qu'il y a une bonne énergie actuellement à Saint-Martin, je l'avais dit en arrivant que je sentais de bonnes vibrations à Saint-Martin, je le confirme.

Il y a un horizon, un chemin, une route que l'on voit. Je pense que sur les questions d'eau, d'électricité, il y a pas mal de choses qui évoluent et qui vont dans le bon sens. Je pense que l'on peut être résolument optimiste pour l'avenir de Saint-Martin. Je crois en l'avenir de cette île, elle a un vrai avenir devant elle. Je reviendrai certainement à Saint-Martin à titre privé.

* Subventions, concours financiers et dispositifs de soutien en faveur des acteurs économiques, des associations et des collectivités territoriales ; aménagement du territoire et politique de la ville ; environnement, agriculture et forêts ; construction, logement et urbanisme ; emploi et activité économique protection et mise en valeur du patrimoine culturel ;activités sportives, socio-éducatives et associatives.

(crédit photo : préfecture)

Estelle Gasnet